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Rechercher : Henri Thomas

”Correspondance” de Henri Thomas (1912-1993)

        Le poète, romancier essayiste et traducteur Henri Thomas, dont Diérèse a publié les dernières lettres adressées à son fidèle ami Gérard le Gouic est né à Anglemont (Vosges) le 3 novembre 1912 ; il meurt à Paris, le 3 novembre 1993. Il fut successivement lauréat du Prix Sainte-Beuve pour La Cible (1956), du Prix Médicis pour John Perkins (1960), du Prix Fémina pour Le Promontoire (1961), enfin Grand Prix de la Société des Gens de Lettres en 1992.

"Moi, Lorrain, Breton par ma fille...", écrivait l'auteur du Migrateur (éd. Gallimard, 1983), livre qui ne quittait pas les bagages du regretté Jean-Claude Pirotte (voir notes blog...). Henri vécut longtemps à l'île d'Houat, puis à Quiberon.
Cette attirance pour la Bretagne raffermit ses liens avec le poète quimperlais Gérard Le Gouic et suscita une correspondance assidue entre eux, jusqu'à une vingtaine de lettres certaines années.
L'ensemble constitue un précieux et savoureux journal littéraire des dix-neuf dernières années de la vie de l'écrivain. Il y évoque ses rapports avec ses amis et ses confrères, avec les Houatais, avec ses chats, avec ses éditeurs, principalement Gallimard...

A celles et ceux qui seraient intéressés, cette Correspondance (256 pages) est disponible auprès des éditions des Montagnes Noires, sises 51-53 rue Joseph-Le-Fur à Gourin (56110) pour le prix de 18€ (frais de port gratuits). Tél : 02 97 23 68 71.
Courriel : c.boissiere906@orange.fr 
 www.edmontagnesnoires.weebly.com

L'expo de l'été 2014 : Nicolas de Staël au MuMa du Havre

Et puis, vous signaler dans la foulée une belle exposition à voir sans plus tarder au MuMa (Musée d'art moderne André Malraux) du Havre, sur le thème du paysage, de Nicolas de Staël (1914-1955) : lumière grise et nacre du Nord et de Normandie, lumière forte de Provence, "cassé-bleu" selon le mot de son ami René Char, jusqu'à l'aveuglement dans les paysages de Sicile, mes préférés. DM, faites passer svp, merci...

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20/08/2014 | Lien permanent

Une interview de Henri Thomas, par René de Ceccatty, opus 2

"Nous sommes des ombres et parfois des ombres chinoises" 

Henri Thomas : John Perkins a existé, c'était son nom. Il m'avait mis au défi de raconter sa vie. Je lui ai dit : chiche ! Sa femme que j'ai appelée Paddy faisait effectivement cet étrange double métier, de travailler dans un hôpital et de participer à des courses automobiles. Elle était très gentille, mais alors entre eux... Le premier soir où je suis rentré chez eux, elle a jeté ses souliers dans le poste de télévision. Lui, il était très intelligent. Ses cantines que vous voyez dans ma chambre lui appartenaient. Elles viennent d'Amérique.

René de Ceccaty : C'est curieux : on dirait que vous possédez un objet d'un de vos personnages...

H. T. : Je ne l'ai jamais revu. Je ne sais pas s'il a lu mon livre. Il a été question de le traduire en anglais, mais ça n'a pas été fait.

RdC. : De l'écriture, vous dites : c'est une prairie "dont tous les brins d'herbe me sont connus".

H. T. : Quand je me promenais dans l'île d'Houat, et que je voyais une belle prairie, je pensais que c'était l'écriture. C'est bien présomptueux de le dire... Mais pas de l'écrire !

RdC. : Cela peut vouloir dire que vous connaissez bien votre instrument.

H. T. : Cela signifie plutôt que mon instrument me connaît. J'ai toujours eu l'impression que c'était le langage qui me prenait et non le contraire. Cela n'a rien à voir avec l'écriture automatique. Mais je ne conçois pas le plan d'un roman. Pas plus que le plan d'une fleur : elle pousse ou elle ne pousse pas. Mes livres sont structurés mais ils se structurent au fur et à mesure.

RdC. : Vous écrivez que vous êtes un "homme impossible".

H. T. : Hélas ! Parce que je cherche toujours quelque chose d'autre. Je n'arrive plus à comprendre l'expression "avoir confiance en quelqu'un". C'est comme croire en Dieu. On peut croire que ce livre existe. Mais un Dieu... L'autre est toujours une présence offensive. Une offense muette. Pourquoi y a-t-il un autre ? Quand on se bute à cette question, on ne s'en sort plus. C'est Rimbaud qui écrit "ces mille questions qui se ramifient n'amènent au fond qu'ivresse et folie". C'est parfaitement vrai.

RdC. : Vous écrivez : "Les anecdotes me fuient". Moi, en vous lisant, j'ai le sentiment contraire.

H. T. : Elles m'ont fui à partir d'une certaine date. Je ne voyais plus que les idées générales alors que pendant longtemps il me suffisait de descendre dans la rue et j'avais des anecdotes. Je n'avais qu'à prendre le métro et surtout le métro de Londres.

RdC. : Pourtant la poésie de vos livres n'est jamais vague.

H. T. : La poésie ne doit jamais être vague. La poésie de Rimbaud n'est pas vague. Quand il décrit une route "surnaturellement sobre", il évoque la route qui était surnaturelle parce que surélevée au-dessus de la plaine, et sobre parce qu'il n'y avait pas de bistrot !

RdC. : On m'a dit que vous étiez dans la chambre où a vécu Beckett.

H. T. : Non, il était à l'étage au-dessous mais en effet dans la même maison de repos. Je l'ai vu une fois quand je partais pour Londres. Il m'a dit : "Comment ? Vous allez vivre au milieu de dix millions de maniaques ?" C'était l'Irlandais qui parlait ! J'avais publié dans la revue 84 l'un de ses premiers textes en français.

RdC. : Est-ce que votre séjour ici influe beaucoup sur ce que vous écrivez ?

H. T. : Non, parce que j'avais déjà en m'installant ici l'idée d'écrire des études sur des poètes dont l'une sur Baudelaire a paru dans le numéro de février 1992 de la NRF. Baudelaire pense que la fin du monde a eu lieu mais que nous ne nous en sommes pas encore aperçus. C'est peut-être vrai. Qu'est-ce que c'est qu'exister ? Nous sommes des ombres et parfois des ombres chinoises.

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23/05/2021 | Lien permanent

Une interview de Henri Thomas (1912-1993), par René de Ceccatty, opus 1

René de Ceccatty : C'est donc votre premier roman, le Cinéma dans la grange (éd. Le Temps qu'il fait) ?

Henri Thomas : Non, le premier était en vers. Mais mon cousin en se penchant par-dessus mon épaule m'avait fait observer qu'il y avait des vers boiteux. J'ai tout fichu en l'air ! Celui-ci a été retrouvé par ma fille. Je n'avais jamais essayé de le publier, je l'avais complètement oublié. Il ressemble à ma copie du concours général de philosophie où j'ai été reçu premier. Le sujet du concours était l'opposition entre la pensée et l'action. Ma conclusion était non...

R.d.C. : Ca ne vous a jamais donné envie d'entreprendre des études de philosophie ? 

H. T. : Regardez ce que je lis en ce moment : Logique formelle et logique transcendantale de Husserl. Je lis ça comme un roman policier : la logique formelle, c'est le vilain. La logique transcendantale, c'est le détective. Elle aura sa peau ! La logique transcendantale réussit à saisir l'esprit des mathématiques. Pas seulement les mathématiques, leur esprit : c'est là que réside la finesse.

R.d.C : Le formalisme vous intéresse d'un point de vue romanesque ?

H. T. : Un roman, ça commence par le bruit d'une porte qui s'ouvre ou qui se ferme. Il ne doit pas y avoir d'exposition. C'est pour Balzac les expositions. Je débute par le geste d'un personnage, un geste qui me surprend. L'important, surtout c'est la scène capitale, le centre invisible qui attire l'esprit quand il s'éloigne. Même dans ce qui n'est pas un roman comme la Joie de cette vie. Le centre, c'est l'hôtel abandonné. Je vivais dans un hôtel qui allait fermer. J'étais le dernier client. L'automne finissait, il y avait une tempête et j'étais seul. Je me disais que je trouverais là des idées qui seraient mon secret. Mais je ne les ai pas trouvées.

R.d.C : Ca donnera peut-être un roman ?

H. T. : Non, ce n'est guère possible. C'était une idée trop bizarre sur l'instant. Le monde se réduit pour nous à un instant, à ce que nous en percevons. Le mot allemand Augenblick me paraît plus expressif : le temps d'un coup d'œil.

R.d.C : Vos livres sont émouvants précisément par les instants que vous décrivez : une lumière, une rencontre, une parole. Comment amenez-vous ces moments forts ?

H. T. : Je suis obligé pour l'expliquer de remonter à mon adolescence. J'ai eu le sentiment alors qu'il y avait des instants déterminants qui pouvaient donner la clé d'un mystère. Ainsi, j'ai eu la clé d'un sermon. On voulait m'envoyer à la messe et je refusais. Je me suis promené dans une allée boisée merveilleuse qui montait dans les montagnes. Les feuilles d'or me tenaient compagnie : là, j'ai eu la clé du sermon. Quand je suis revenu, on m'a demandé : "Qu'a raconté le curé ?". Alors, j'ai ressorti tout un boniment sur l'eucharistie...

R.d.C : Comment resurgissent ces réminiscences qui nourrissent votre œuvre avec une très grande exactitude ?

H. T. : Surtout maintenant. Je pense que je suis un enfant de la guerre, de la catastrophe. Mon père est mort en revenant de la guerre 14-18. Notre maison a été brûlée, notre bétail a été tué, nous avons tout perdu. Je suis habitué à ça. Je suis resté avec ma mère qui ne m'a jamais parlé de mon père, pourtant enterré dans le village voisin. Je ne suis jamais allé sur sa tombe. J'ai un seul souvenir de mon père : une image dans un livre. Il m'avait fait venir à son chevet et m'avait montré un livre illustré, l'Ami Fritz, et en particulier une image que je n'oublierai jamais. Une voiture de foin qui penche et que des gens soutiennent de l'épaule. C'est tout ce qui me reste. Je ne me souviens que de lui, me montrant ce livre. Ce n'est pas un hasard qu'il s'agisse d'une image dans un livre.

R.d.C : Vous avez rapidement refusé les formes institutionnelles, académiques, de la culture. Vous avez arrêté vos études.

H. T. : J'étais admissible au concours de l’École Normale supérieure et je n'ai pas passé l'oral. J'avais horreur de cet esprit. Ce n'était pas par horreur de la collectivité ni de la société. J'étais engagé politiquement. J'ai été communiste. Je ne détestais pas les autres.

R.d.C : Vous avez beaucoup écrit sur les autres : des personnalités auxquelles vous rendez hommage ou encore des aventures collectives comme le Collège de pataphysique.

H. T. : Mes personnages sont à demi imaginaires. Je les fait exister pour moi. Par exemple, dans la Vie ensemble (1945, repris dans "Folio" n°1493), j'ai créé tous les personnages même si je les ai bien connus dans la vie. Dans Ai-je une patrie ?, je suis parti du souvenir d'un amour que j'ai eu à l'âge de douze ans. Ma mère bien plus tard m'a dit : "Ginette, je crois qu'elle a mal tourné." J'ai brodé sur ce mot, sur cette idée d'une vie malheureuse. Quand le livre a paru, l'an dernier, j'ai reçu une lettre de cette fille. Soixante ans après ! Elle avait lu mon roman. Elle m'a reproché de ne pas avoir écrit ce qui s'était réellement passé. En fait, je n'étais pas parti d'un souvenir qui m'était propre mais de celui d'une phrase de ma mère. Je me suis laissé aller...

R.d.C : Vos romans sont parsemés de petits miracles...

H. T. : Sauf la Nuit de Londres (1956, repris dans l'Imaginaire n°4) qui est écrit à partir de plusieurs nuits fondues en une seule. Je mets ce roman à part. Je l'ai rédigé en Savoie, dans une vieille maison qu'on appelait "le château". Elle avait un toit comme une tente. Je travaillais sur un pétrin. J'entendais distinctement une araignée qui venait me voir, traîner ses pattes sur le mur. Elle me regardait et repartait. Elle a dû avoir une influence très mystérieuse sur mon livre. Il est vrai que je ne l'ai pas commencé là mais à Londres au premier étage d'un autobus. Dans ce livre, il y a une image centrale : une feuille morte de marronnier embrochée sur une grille. Il me semble qu'elle était là pour moi.

R.d.C : Vous cherchez à définir une sorte de logique de l'organisation de la nature autour de vous. Comme si tout avait un sens.

H. T. : Sans logique, la littérature n'est rien. Par exemple, dans le Promontoire (1961, prix Femina), je me trouvais en Corse. Il y avait une saison extraordinaire, douze jours de neige sur les plages. Les vaches cherchaient de l'eau et de l'herbe avec leur museau. Cette vision a été déterminante : j'ai vu mon malheureux personnage à ma place. Moi, je traduisais Nietzsche à l'époque. Lui, des prospectus de pharmacie. C'est un peu la même chose...

R.d.C : Comment expliquez-vous que votre premier succès littéraire ait été votre "roman américain", John Perkins ?

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à suivre

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24/05/2021 | Lien permanent

”Le tableau d'avancement”, par Henri Thomas, éditions Fata Morgana, 6 octobre 1983, 72 pages

J'ai vu Georges Perros hier après-midi. Un visage intact, mais un peu gonflé, rougi, un peu figé. Toute l'expression est dans les yeux, une présence accrue et une grande détresse. Il écrit, sur l'ardoise, qu'il a cru étouffer le matin. Il respire bruyamment, difficilement. Je lui trouve les joues violettes comme à Brice Parrain mourant. Il écrit sur un cahier qui est à sa portée : "Dur la nuit, peur d'étouffer".
Il reprend le cahier un instant plus tard : "Je suis une société idéale pour les chats".
Avant l'opération, des jeunes filles charmantes sont venues me voir. On a "blagué". Je lui demande : "Des jeunes filles de chez Gallimard ?". Il fait un geste me montrant que c'étaient des jeunes filles qui avaient été opérées.
L'opération a duré trois heures. Lorand Gaspar, venu de Tunis où il est chirurgien, y a assisté. "Il paraît que ça a été parfait", écrit Georges sur le cahier. Je lui demande s'il a des nouvelles de Bretagne. Il écrit : "Vent de 140 kilomètres heure". Puis : "Je ne vais plus porter que des cols roulés pour cacher la canule". Je dis : "Ça ne te change pas beaucoup", il ajoute : "Ou des lavallières".

Georges me marque sur l'ardoise que Marcel Arland est venu le voir l'autre matin, et qu'il a fondu en larmes au seuil de la chambre. Je lui raconte que lorsque j'ai dit à Arland une parole de Jacqueline mourante : "C'est toi, c'est vraiment toi ?" il a pris sa tête dans ses mains et s'est enfui en gémissant. C'était au Tertre.
Comme les arbres étaient beaux ! Le vent dans leurs cimes, la vie étrange, souffles, rayons, fraîcheur... Rien d'humain ou tout humain ? Et une semaine plus tard, c'était le grand tilleul dans la cour de l'Hôtel-Dieu de Rennes, devant la fenêtre de la chambre où Jacqueline mourait. Elle aimait les arbres, le vent de la fin d'été dans les arbres.

J'ai emporté un petit poème écrit par Georges :

     J'étais oiseau sur basse branche
     Mais on m'a coupé le sifflet.

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     J'avais parole à tout le monde
     L'aurais-je passé mon oral
     Voilà que le mutisme abonde
            Mon caporal.

     Plus qu'à moitié ma langue est morte
     M'en reste-t-il de quoi froisser
     Doucement la harpe ? Une porte
            N'a plus de clé.

* * *

La langage de l'amitié est moins suspect que celui de l'amour. Il n'est pas le moyen d'une possession. Est-ce pour cela qu'il n'existe pas de poèmes de l'amitié ?


Henri Thomas

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30/06/2021 | Lien permanent

”Le Migrateur”, de Henri Thomas, éditions Gallimard, coll. Le Chemin, 12/9/1983, 270 p., 85 FF

Un livre que le regretté Jean-Claude Pirotte emportait dans tous ses déplacements (il en eut de si nombreux !), à lire et à relire, à méditer par ces temps neigeux, qui nous feraient presque oublier les refrains infortunés de nos années vingt :

"Il est un certain champ de neige dans mon esprit, où je souffre si les autres laissent la marque de leurs pas. Si l'image est facile, elle ne correspond pas moins à une réalité qui s'exprime tyranniquement par le besoin de solitude. Chaque nuit de sommeil reconstitue le champ de neige ; chaque réveil voit l'assaut d'autrui aux limites, puis en plein dans le champ, et le soir le voit entièrement sillonné et sali. Il existe peut-être des créatures assez légères pour y passer sans laisser de marques ; d'autres, même, dont la présence le protègerait. En tout cas, mon devoir et ma joie sont de protéger cette froideur cristalline où la poésie peut seule se poser. Je ne suis pas un être familier ; j'aime le délaissement.
J'éprouve aussi du bonheur à ne pas laisser d'empreinte chez autrui, tout comme à éviter des confidences.
Ce que j'apprends de lui par la seule observation me paraît beaucoup plus précieux que ce qu'il pourrait me dire lui-même.
Tout cela s'impose à moi. Je ne l'invente pas pour le plaisir de me créer une tâche ; je suis mal à mon aise dès que les circonstances me forcent à abandonner ce chemin.

 

* * *


Le mètre poétique régulier (celui qui a le temps pour soi) marque un souci de sociabilité. Il évoque l'idée de la récitation, il est plein d'égards, offre au moins un élément d'accord. Dans la mesure où le poète l'abandonne, il va vers des domaines plus personnels et anarchiques. Baudelaire me semble plus complètement présent dans ses poèmes en prose que dans beaucoup de ses vers, et plus présent encore dans les débris de soliloques des carnets que dans les poèmes en prose, où le souci d'une sorte de rythmique très souple (il la définit dans la dédicace à Arsène Houssaye) donne à l'expression quelque chose d'une haute politesse.
Peut-être est-ce chez Rimbaud que l'échelonnement de ces domaines, leur écartement progressif par rapport au point de rencontre social est le plus net. Les premiers poèmes, adressés à Banville, révèlent un violent désir de gloire, c'est-à-dire de multiples contacts avec une société reconnue comme le seul endroit où s'épanouir. A mesure que le mètre se disloque (la strophe du Bateau ivre présente déjà des fissures graves) l'inspiration se fait plus farouche, le regard déserte le paysage immédiat pour se porter vers les confins (loin des claires meules, des caps, des beaux toits...)."


Henri Thomas

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02/01/2021 | Lien permanent

”Pépiement des ombres : Philippe Jaccottet - Henri Thomas”, dessins d'Anne-Marie Jaccottet, éditions Fata Morgana, 30 ju

50. Houat, 13 juin 1977


Cher Philippe Jaccottet,

Je viens de lire, relire, A la lumière d'hiver *, avec la plus profonde émotion. J'ignorais les poèmes à partir de la page 71 ; il n'y a rien dans la poésie de maintenant (de nos jours) qui m'ait autant touché.
Un homme qui vieillit est un homme plein d'images.
Je vous lisais par un temps de grande attention, dans l'île assombrie par le mauvais temps qui dure depuis trois jours, avec le bruit continuel de la mer. Vos poèmes prenaient place dans ce monde comme par une profonde alliance ; j'étais au centre, avec eux - homme qui vieillit (et vous devance), plein d'une curiosité un peu folle, celle de l'homme seul. Votre livre est le seul recueil de poèmes que j'aie ici ; je crois que je n'en supporterais pas d'autre.
Je songe souvent à l'occasion que j'ai laissé passer de vous revoir à Paris, à la maison de la radio. Hélas, c'est pour ainsi dire caractéristique de moi ; je manque un grand nombre des pierres du gué, je me perds tout le temps. Ici, c'est un peu le refuge - ou même un "bout du monde".
Votre ami - et je vous prie de dire mon souvenir à votre femme,

Henri Thomas

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* Relire, puisque A la lumière d'hiver est précédé de Leçons et de Chants d'en bas.

51. Grignan, 31 août 1977


Cher Henri Thomas,

Je me réconcilierais presque avec ce personnage qu'est [Bernard] Pivot pour vous avoir vu l'autre jour * : une rencontre qu'on aurait aimé prolonger, surtout après les banalités bien-pensantes de [Bernard] Clavel. Cela nous a fait grand plaisir de vous revoir, au moins de cette façon. Et qu'enfin les journaux semblent vous "découvrir" après trente ans, si cela irrite, on s'en réjouit tout de même.
Je vais traduire un livre de Ludwig Hohl ** pour une collection suisse où ont paru des nouvelles de Muschg *** qui, ensuite, ont été reprises par Gallimard. Hohl, qui a 74 ans, aimerait mieux, évidemment, paraître chez Gallimard que dans cette série suisse, ou au moins paraître à la fois chez les deux. Vous savez que son œuvre comporte surtout des aphorismes et des fragments, et deux livres de "narrations" dont la Nächtlicher Weg [Chemin de nuit] prévu dans cette série suisse, et une Bergfahrt [Une ascension] qui est très digne d'admiration. (Je crois que Michaux connaît un peu cette œuvre de Hohl et la tient en grande estime.) Tout cela pour dire que j'aimerais que vous en parliez, ou reparliez, chez Gallimard, ou que vous me disiez à qui je devrais la recommander.
Moi-même, ce n'est pas le genre d’œuvres que je préfère, mais j'en devine la densité et la grandeur. Je crois que Gallimard devrait s'intéresser à l'ensemble, en cours de parution chez Suhrkamp.
Avec ma très fidèle amitié,

Philippe J.

Dites aussi mes amicales pensées à Pierre L. si vous le voyez : je ne sais plus rien de lui depuis trop longtemps.

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* "Ah vous écrivez", émission télévisée diffusée le 26 août 1977 sur Antenne 2.
** Chemin de nuit (Bertil Galland, 1979).
*** Histoires d'amour (Bertil Galland, 1975 ; Gallimard, 1977).

 

52. Paris, 23 septembre 1977


Cher Philippe Jaccottet,

Georges Lambrichs me suggère que le mieux pour Ludwig Hohl serait sans doute d'en publier un extrait dans La NRF. Je crois qu'il vous écrira à ce sujet. Cela aiderait, dit-il, à le présenter chez Gallimard.
Vous savez, j'y vais rarement (sans rien fuir précisément) mais pour cet auteur, oui, j'aimerais vous aider. J'espère vous en reparler dans quinze jours.
Pierre Leyris est rentré hier, je crois, de Mytilène où il est resté quelques semaines - tout réconforté, me dit Betty. Il m'avait écrit, de Savoie, des lettres fort découragées, poignantes. Je le verrai ces jours-ci.
Paul de Roux est passé avant-hier ; notre conversation m'a rapproché de Grignan, dont il avait un si bon souvenir. Irai-je jamais de votre côté -, je suis tout versé à l'Ouest, où je vais encore le 19 octobre pour assister au mariage d'une des filles du patron-pêcheur chez qui je logeais. Comme témoin : c'est beaucoup m'engager, cela m'effraie un peu.
Toute mon amitié,

Henri Thomas

Je trouve à la télévision quelque chose d'infernal. L'abîme entre ces paroles et l'écriture !

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05/05/2021 | Lien permanent

Henri Michaux, la fin d'une belle aventure

Jean-Pierre Martin raconte qu'Henri Michaux et Marie-Louise Termet, dans les premiers temps qu'ils se connaissaient, "le soir se lisaient à haute voix Lautréamont." Ce que Michaux a tant admiré en Maldoror, c'est l'étrangeté et la liberté et la grandeur. L'auteur s'y cache comme il rêve lui-même de se dissimuler dans ses œuvres. Il tient à être le plus subjectif et le plus énigmatique des écrivains. On peut voir comment, par exemple dans "La Ralentie", à sa manière, moins déclamatoire que celle de Maldoror, il avoue, mais comme en secret, ce qui lui est le plus personnel, la passion amoureuse. Il y a d'ailleurs un curieux rapport entre les amours de Michaux et celles de Lautréamont : l'allusion à l'écrivain qu'il admire dans le poème de 1928 à Banjo, justement intitulé "Amours" ; ou la coïncidence presque magique qui le fait tomber amoureux d'une belle uruguayenne, dans la ville même, Montevideo, où Isidore Ducasse est né et a vécu.

Amours     

  "Toi que je ne sais où atteindre et qui ne liras pas ce livre,
  qui as fait toujours leur procès aux écrivains,
  Petites gens, mesquins, manquant de vérité, vaniteux,
 Toi pour qui Henri Michaux est devenu un nom propre peut-être semblable en tout point à ceux-là  qu’on voit dans les faits divers accompagnés de la mention d’âge et de profession..." in La nuit remue

L'année 1944 voit la mort de son frère, Marcel, qui ne l'estimait guère, comme peu conforme au "modèle" de la réussite sociale. Gardons toujours à l'esprit qu'Henri Michaux a su montrer, tout au long de son existence, une attitude pour le moins anti-conventionnelle. Sa rencontre avec l'un des chantres de la contre-culture, Allen Ginsberg, rue Gît-le-Coeur, dans le fameux hôtel que l'on sait, en 1958, est là pour en témoigner, s'il en était besoin...

Ne pas oublier non plus que Michaux tenait en grande estime l'attitude d'Artaud, dans ses démêlés avec son psychiatre, Ferdière (qui fut d'abord l'époux de Marie-Louise Termet). Il lui trouvait "une superbe dignité". Bien entendu, lui qui n'allait guère aux conférences ni aux colloques, a assisté à la fameuse "conférence" d'Artaud le 13 janvier 1947 au théâtre du Vieux Colombier, annoncée comme l'"Histoire vécue d'Artaud-Mômô. Tête-à-tête par Antonin Artaud." Henri Pichette, au cours d'une réunion de lettristes, en 1947, a pu saluer Henri Michaux et Antonin Artaud comme "père et mère". Pourquoi pas !

En 1946, alors que la maladie de Marie-Louise (la tuberculose) contractée suite aux restrictions alimentaires de la Seconde Guerre mondiale ne cesse de l'affaiblir, le couple effectue un voyage au pays basque. En ce temps-là, on mourait encore de tuberculose. Avant la pénicilline, il n'y avait guère que le sanatorium, célébré par Thomas Man. Marie-Louise a fait elle aussi l'expérience de la "montagne magique". Elle semblait aller mieux : elle ne mourrait pas de maladie. Le couple emménage dans l'appartement de la rue Séguier. Cette année-là, ils voyagent à deux en Egypte, un pays qu'ils découvrent.

En janvier 1948, en l'absence de Michaux qui est allé à Bruxelles pour régler des affaires de famille en lien avec la mort de son frère , Marie-Louise est gravement brûlée. Aussitôt prévenu, HM revient de Bruxelles. Il assiste jusqu'au bout à ses souffrances, jusqu'à sa mort. "Je ne trouve plus devant moi que le vide". Pour réagir, il se met à peindre, de plus en plus "nerveusement", "rageusement", des milliers de dessins, de gouaches, d'aquarelles. Il improvise, sur plusieurs instruments, des musiques barbares, lancinantes. S'essaye aux percussions. Pour marquer ainsi la fin d'une belle aventure.

Peu de temps après la parution de Meidosems, Michaux fait paraître, à la mémoire de la disparue, Nous deux encore, édité par J. Lambert et Cie, où au regret poignant se mêle un irrépressible remords. Cette plaquette se compose de 32 pages foliotées de 9 à 23 ; un tirage de 750 exemplaires sur vélin du Marais Crèvecœur (dont 100 hors commerce) :

MICHAUX NOUS DEUX ENCORE.jpg

Il dédicace son livre à René Bertelé : "A René Bertelé, quoiqu'il soit contre. H. Michaux", dédicace très sèche car il n'a pas suivi les recommandations de son ami. De là sa décision sans doute : il fait détruire, peu de temps après sa sortie, une grande partie de l'édition de ce livre, interdit de réimpression car Michaux le juge trop personnel pour être ainsi donné en pâture aux lecteurs. Il faudra attendre l'édition post mortem de La Pléiade pour le lire de nouveau.

En dépit de cela, deux mois à peine après la mort de l'écrivain, le 19 octobre 1984, Michel Butel, in L'Autre journal n°1 (décembre 1984) publia en pages 202 à 205 l'intégralité de la plaquette intitulée Nous deux encore, sans autorisation, s'attirant les foudres de celle qui fut sa compagne, l'exécutrice testamentaire de HM, Micheline Phankim.

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19/02/2021 | Lien permanent

Edmond Thomas et les éditions Plein Chant à Bassac : bientôt 50 années d'existence !

Les débuts d'Edmond Thomas (un titi du quinzième arrondissement parisien) ont quelque chose de savoureux pour les amateurs de destin marginal : "J'avais quatorze ans quand je me suis fait virer de l'école et le hasard a voulu que je sois embauché chez Brodard et Taupin, une ancienne maison qui imprimait entres autres le Livre de poche. Je travaillais à la reliure industrielle. A l'époque, je ne lisais que des bêtises. Je m'étais fait un ami d'un Algérien qui ramassait les vieux papiers et qui me rapportait des policiers de l'imprimerie. Un jour il m'a donné Paroles, de Jacques Prévert, qu'il avait mêlé par erreur à un lot de polars, à cause de sa couverture sombre, un graffiti photographié par Brassaï. Je peux dire que c'est ce qui m'a ouvert à la littérature."
A partir de là, l'adolescent se met à dévorer tous les grands textes contemporains, fréquente les bouquinistes et un bibliomane distingué, Fernand Touré, qu'il publiera du reste quelques années plus tard. Un passage chez Armand Colin, puis, quatre ans plus tard, chez un libraire de livres anciens, lui offrent de quoi naviguer mieux encore dans le monde du livre, et l'occasion de se monter une "petite bibliothèque" respectable.
C'est courant février 1972 qu'Edmond Thomas, déjà faiseur d'une revue de poésie ronéotée, décide qu'il est grand temps de mettre les voiles en solitaire. Ce sera Bassac, où l'attire son ami Jean-Paul Louis, des éditions du Lérot. La ronéo de Plein Chant - lorsqu'il a choisi cette enseigne, Thomas ne savait pas encore qu'il s'installerait dans une cour abbatiale longtemps hantée par les dominicains - tourne bientôt pour des plumes à peu près inconnues, dont celle d'Henri-Simon Faure et de quelques poètes qui gravitaient autour de la revue la Tour de feu (à Jarnac). En 1978, le rejoint Georges Monti, qui s'ennuyait un peu à Clermont-Ferrand, et ils s'apprennent mutuellement le métier d'imprimeur sur une offset fatiguée. Ils publient Armand Robin, alors complètement oublié, et toute la presse en parle.

Depuis Robin, Edmond Thomas n'a guère bénéficié d'une telle attention, exception faite des ouvrages de Louis Scutenaire et de la correspondance croisée de Nodier et Hugo. Pourtant, son catalogue, d'un éclectisme revendiqué, regorge de petites merveilles, qui dépasse à peine les mille exemplaires. S'y côtoient des auteurs confidentiels ou peu médiatisés, de récits ou de poèmes, tels que Joël Cornuault, Laurent Grisel, Etienne Collet, Marius Noguès...; des classiques scandinaves ignorés en France, tels que Tarjei Vesaas, Veijo Meri ou Stig Claesson ; des écrivains issus du peuple, ou intéressés à l'expression prolétarienne : Marcel Martinet, Henry Poulaille, Emile Guillaumin... (collection "Voix d'en bas" ; dont une somme en trois volumes menée par Philippe Bouquet, la Bêche et la Plume) ; ou encore des oulipiens et autres pataphysiciens, tels que Jean Queval, André Blavier et Michel Ohl dont il a publié, notamment, l'An Pinay (collection "La Tête reposée", dirigée par Pierre Ziegelmeyer).
Plein Chant fut aussi une revue littéraire trimestrielle : sous son titre ont paru entre 1971 et 2016 des numéros de Varia, comprenant des textes en prose et en vers. Certains numéros collectifs spéciaux sont remarquables, tels ceux consacrés à Louis Guilloux, Stig Dagerman, John Cowper Powys, le poète tchèque Vladimir Holan ou le dadaïste Clément Pansaers.

Plein Chant fêtera en février 2022 ses cinquante années d'existence. Les projets ne font toujours pas défaut et, l'on s'en doute, les difficultés relèvent surtout, après les incertitudes liées à la crise sanitaire, du manque de temps (beaucoup d'éditeurs-clients à satisfaire) et des faibles moyens matériels et financiers. Edmond Thomas est parfois tourmenté, mais il ne pourrait, bien sûr, pas vivre autrement. Hommage lui soit rendu ici, en ces temps difficiles pour l'édition.

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22/07/2021 | Lien permanent

Le photographe Thomas de Wouters

Vernissage le 8 septembre à la galerie GALERIE DIDIER DEVILLEZ, 53 rue Emmanuel Van Driessche, 1050 Bruxelles (Belgique)

 

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24/08/2016 | Lien permanent

Thomas de Wouters

 

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On est loin, ici, des présences simples à la merci d'un seul sens. A dire tout à fait précisément les choses, le sentiment de l'existence du monde chasse l'ombre de ceux qui le veulent réduire à la peur de l'autre quand il ne leur donnerait pas la réplique attendue. Des cris d'oiseaux rayent le ciel : il en est sur terre qui continûment voudraient les jeter bas. Le murmure des draps qu'agitent les vents au-dessus des champs, une femme qui passe "avec des airs de nonchalance", surgie de la bande-son d'un théâtre filmé, et s'apprête à disparaître... la mémoire ainsi se donne, avec les tisons du petit jour, là où commence le corps, là où le cœur danse, pour dire le souffle dans la gorge, qui nous anime jusqu'au mot de la fin. Daniel Martinez

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09/04/2018 | Lien permanent

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