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Henri Michaux opus 2

Malgré le volume des trois tomes de La Pléiade consacrés à Henri Michaux, parus à La Pléiade, sous la direction de Raymond Bellour, Ysé Tran et Mireille Cardot & le travail des plus sérieux qui a présidé à cette impressionnante recollection des textes du poète dispersés aux quatre vents : en plaquettes, en revues, en programmes de théâtre, en catalogue d'expositions, en dactylogrammes, en livres - deux articles, n'ont pas été repris dans la prestigieuse collection, articles dont je vais vous donner lecture ici-même.

Voici  donc les deux articles parus dans la revue Les Nouvelles littéraires n°2882, 14-20 avril 1983, en page 45 - deux livres de jeunesse commentés par leur auteur :

"Pour Ecuador, 1929

ECUADOR : un départ pour la république de l'Equateur, un séjour de huit mois, un retour en pirogue sur le Napo, et en bateau par l'Amazone.

La plupart des voyageurs béent d'admiration quand ils croient qu'il convient de béer. Et les plus froids se fouettent pour écrire quelques mots sur les spectacles "importants".

L'auteur de ce livre n'a pas fait cela.

Il ne dit pas un mot du canal de Panama, et il lui arrive de parler d'une mouche. Il ne s'est jamais préoccupé d'être juste et impartial envers les choses, il s'est seulement préoccupé de l'être envers ses impressions.

Et s'il y a des poèmes dans ce livre, ils veulent être aussi sincères. Ils ne se croient pas supérieurs."

                                                                          Henri Michaux

* * *

Pour Un barbare en Asie, 1933

L'auteur de ce livre, étant enfant, allait dans le jardin observer les fourmis. Il les mettait sur une table, ou lui-même s'allongeait par terre, se mettant à leur niveau.

Ce voyage dura des années pendant lesquelles il ne fut guère intéressé par autre chose.

Cette fois l'auteur a été en Chine et aux Indes, et aussi, quoique moins longtemps à Ceylan, au Japon, en Corée, à Java, à Bali, etc.

Il n'a pas observé les fourmis, qui cependant abondent, mais les races humaines.

Comme il est naturel, il s'est tenu à l'écart des Européens, et a tenté de disparaître dans la foule étrangère. Il a attrapé des poux dans tous les théâtres d'Asie. Il connaît, pour y avoir été quantité de fois, le théâtre chinois, japonais, hindoustani, bengali, coréen, malais, javanais, etc... il a vu les films japonais, chinois, bengalis, hindoustanis. Il a entendu la musique, les danses indigènes.

Il a assisté aux prières, il s'est approché des temples, des lieux saints, des prêtres de toutes les religions.

Il a lu ou bien relu les ouvrages des philosophes, des saints et des poètes, il a étudié ou parcouru la grammaire de chaque langue et son écriture.

Enfin et surtout il a regardé "l'homme dans la rue", comment on rie, comment on se fâche, comment on marche, comment on fait signe, comment on commande, et comment on obéit, les intonations, la voix, les attitudes, les réflexes (tout ce qui ne ment pas).

Il s'est ainsi enfoncé dans la peau des autres. Toutefois, dans la peau d'un Chinois, il reste lui-même et souffre et regimbe, il souffre dans la peau de l'hindou, il souffre dans la peau d'être homme et de ne pas trouver la Voie. Et tout en souffrant il montre de l'humour, comme on fait, comme tant d'autres ont fait..."

                                                                          Henri Michaux

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21/04/2016 | Lien permanent

Henri Michaux, ses constantes résurgences

Dans le journal Combat, du 21 juin 1951, Justin Saget publie une lettre ouverte de Henri Michaux. Il y expose les raisons de sa non-acceptation des prix littéraires. Les curieux se reporteront au deuxième tome de La Pléiade* pour y lire ce texte magistral.

Pendant l'été (22 août 1951), il écrit au critique Maurice Saillet :

"Non, les vacances des autres ne me donnent pas de blé. Et si l'on s'informe de farine, les moulins savent ce que ça veut dire, et ne répondront pas plus qu'ils ne tournent, c'est-à-dire peu. Mais les premiers sacs n'ont pas été brûlés, ils ont résisté à l'examen aussi pourrait-on sans risque parier sur l'ensemble. Je suis peiné pour Sylvia**, dont la sœur, même si elle n'avait eu que la moitié de son charme, doit être bien pleurée. Amitiés à Sylvia, à Adrienne (Monnier, ndlr) et à vous, admirable Savoyard. Quelle veine de respirer dans les chaumes l'air de Boëge. H.M"           Cette lettre est inédite.

En automne, Michaux publie à Paris, chez un éditeur de ses amis qui restera anonyme, "Quelque part, quelqu'un", un opuscule de 26 pages, imprimé à 15 exemplaires. C'est en fait la reprise (avec quelques corrections) de 7 pages publiées par la NRF en octobre 1938 (n°301).

Il dessine à l'encre par des gestes aléatoires, de nombreuses pages de "signes", il en verra publiées soixante-quatre dans son fameux livre "Mouvements" (32 x 24 cm), pour les exemplaires de tête sous enveloppe et boîte titrées par l’éditeur, René Bertelé, Le Point du Jour, 1951. Esthétique de la vitesse...

La galerie Rive Gauche l'expose à Paris ("Mieux connaître Henri Michaux"). Il s'intéresse à Pierre Boulez.

                                              

DEDI MICHAUX.jpg

Page de garde de l'exemplaire d'Exorcismes (1943) dédicacé à René Bertelé : "Que les sorciers et quelques autres de leurs EXORCISMES vous aident... ou au moins de leur stimulation Avec l'amitié de Henri Michaux"  

*Bibliothèque de La Pléiade, NRF, Gallimard :

   Tome I   (œuvres de 1927 à 1947), 1998
   Tome II  (œuvres de 1948 à 1959), 2001
   Tome III (œuvres de 1960 à 1984), 2004

_________

    **Sylvia Beach, qui vient de perdre sa sœur

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20/02/2021 | Lien permanent

Frottage de Henri Michaux

http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com/media/02/01/2581014383.jpg

 

          "Les mots déroulent des rubans d'ombre
           autour de la clarté reconquis"
           Edmond Jabès, Les mots tracent

Entre l'oiseau qui se pose et celui qui tente de s'envoler, il y a ce pacte si secret entre nous que nous avons peur parfois de le briser l'espace d'un regard et cette tentation de confondre par le geste ta liberté à la mienne. DM

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30/05/2018 | Lien permanent

Henri Michaux critique

Henri Michaux fut aussi critique, il me semble bien que La Pléiade n'a pas reproduit cet article dans le premier des trois tomes consacrés au poète, note pourtant parue dans la NRF d'avril 1935, n°259, p. 637. Est-ce que les rédacteurs actuels de notre presse dite "libre" laisseraient passer cette recension, malgré la grande verve moralisatrice qui nous vient d'outre-Atlantique ? Poser la question, c'est déjà y répondre... Amitiés partagées, DM

Moeurs et coutumes des basses classes de l'Inde, par le général Georges Mac Munn (éd. Payot) :

Un général, commandant aux Indes, est exposé à recevoir une lettre une lettre comme celle-ci :

"Monseigneur,

Pendant quinze ans, j'ai été femme pour soldats britanniques et personne ne s'est jamais plaint de moi. Maintenant, B..., ce sergent de bazar, m'accuse d'"impureté".
"Si votre seigneurie veut arrêter cette injustice, je prierai toujours pour sa prospérité.
Toujours de votre Seigneurie la prostituée fidèle

Habida

     J'imagine qu'une lettre pareille est capable de faire réfléchir un officier britannique à certaines choses, qui, pour lui, en Angleterre, fussent toujours restées dans l'ombre.
     Le général Munn donne même l'impression d'être mieux informé des mœurs réprouvées et des classes méprisées des Indes que de celles de Grande-Bretagne. Mais il manquait sans doute de relations personnelles dans ces milieux, car son livre, involontairement "de haut en bas", malgré un ton loyal et simple, ne contient guère d'informations de première main.

Henri Michaux

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05/06/2018 | Lien permanent

Unica Zürn, fascinée par Henri Michaux

Après Lee Krasner, qui fut la compagne de Jackson Pollock (note blog du 25/7/21), l'histoire d'un amour déçu, cette fois entre deux auteurs-plasticiens :

Peut-on toute sa vie être cloué par un simple regard ? Il faut imaginer ce que cela signifie : tout ce que l'on a vécu, tout ce que l'on vivra est incendié par le moment où l'on croise ce regard. L'avenir en portera les conséquences, mais le passé n'a été vécu que dans cette attente. Cet instant, celui de la rencontre, n'est plus une simple épiphanie mais bel et bien un ravissement. Ce regard, cet éblouissement, se produit en 1957, lors de l'une des très nombreuses soirées organisées par le groupe surréaliste, Unica Zürn voit Henri Michaux. Et elle bascule, comme une crise d'épilepsie sans les spasmes, elle est littéralement éblouie. Plus tard, dans son roman L'Homme-Jasmin, sous-titré Impressions d'une malade mentale, elle reviendra sur le surnom qu'elle invente pour évoquer le poète, l'Homme Blanc : "[...] comment pourrait-elle l'appeler autrement, lui qui émet les insoutenables rayons de l'inquiétante blancheur ?" Cette rencontre quasi fortuite, deviendra l'un des indénouables nœuds de la vie d'Unica Zürn. Un pieu indéracinable. Michaux, elle l'avait lu, elle avait été impressionnée par Connaissance par les gouffres, sans doute était-elle intimidée à l'idée de le rencontrer. L'homme était on ne peut plus discret : grand, osseux, haut front dégarni ; les rares photographies prises de lui témoignent de son austère froideur. En étudiant attentivement la biographie d'Unica Zürn, on comprend qu'elle attend depuis toujours cette rencontre. Lorsqu'en 1953 elle tombe amoureuse de l'artiste surréaliste Hans Bellmer à Berlin, elle a 37 ans et elle déjà vécu bien des vies : jeunesse dorée, scénariste puis autrice de films publicitaires, mariée, mère de deux enfants dont elle perdra la garde puisque - lassée des infidélités de son époux - c'est elle qui demandera et obtiendra le divorce, autrice de nouvelles et de fictions radiophoniques, elle dessine également à ses heures perdues. Si Unica Zürn rayonne, elle lutte en permanence pour contenir ses fantômes : les enfants qu'elle ne voit plus, l'adolescence parmi les dignitaires nazis après que sa mère (divorcée elle-même) s'est remariée à un ministre du président Hindenburg qui deviendra un des hauts cadres du IIIe Reich.

Autre trait de sa personnalité : elle a toujours aimé jouer avec les mots, a composé toute sa vie des anagrammes, et elle est fascinée par les initiales. Arrivée en France, Bellmer la présente au groupe surréaliste. Ils vivent mal, avec peu. A l'hôtel Minerva, elle a l'un de ses fréquents éblouissements : les initiales de l'hôtel, HM, sont celles de son auteur fétiche : Herman Melville. Elle retrace dans L'Homme-jasmin une autre de ces coïncidences qu'elle interprète comme un signe (mais n'était-ce pas là l'un des traits de la pensée surréaliste ?) : "Puis on l'emmène plus loin dans une petite galerie d'art. Devant la porte se trouve une enseigne sur laquelle elle lit les deux majuscules : H. M."
Tout était en place pour que la rencontre avec H(enri) M(ichaux) soit un séisme. "Mais avec l'apparition de l'Homme Blanc en chair et en os [...] avec son apparition la folie a commencé", écrit-elle toujours dans L'Homme-Jasmin. Et, effectivement, c'est en cette même année 1957 que ses névroses vont commencer à la consumer. Lors d'une crise schizophrénique, elle fait une première tentative de suicide. A partir de là, elle sera internée régulièrement : à Paris, à Neuilly-sur-Marne, à La Rochelle. Et le 19 octobre 1970, alors qu'une autorisation de sortie lui sera accordée, elle se rendra chez Bellmer et, plus fragile et légère que jamais, se jettera par la fenêtre.
Et Michaux ? Qu'en sera-t-il de cette rencontre pour lui ? On sait qu'il visitera régulièrement Unica Zürn lors de ses internements, qu'il lui offrira de quoi dessiner ainsi qu'un carnet orné d'un poème manuscrit :
      "Cahier de blanches étendues intouchées
      Lacs où les désespérés, mieux que les autres
      Peuvent nager en silence
      S'étendre à l'écart et revivre".
On sait qu'il est également celui pour lequel L'Homme-Jasmin a été écrit : "C'est lui qui l'encouragea à terminer son manuscrit." On sait que jamais elle ne cessa de penser à lui.
Dans la monumentale biographie qu'il a consacrée à Henri Michaux, Jean-Pierre Martin évoque la fascination du poète pour les esprits fragiles et perturbés. Il se trouve que ces esprits soumis aux "états torturants" ne manquent pas, et qu'ils sont en grande majorité féminins. Que l'on juge : au fil du temps, Michaux prendra soin de Greta Masui (la femme de Jacques Masui, directeur de la revue Hermès), de May (l'épouse du peintre Zao Wou-Ki), de Bona de Pisis, et d'Unica Zürn bien entendu. Le point commun entre toutes ces femmes ? Leur internement pour raison psychiatrique. C'est Jean-Pierre Martin qui parle à leur propos de "femmes-lianes", empruntant l'expression à l'unique texte où Michaux évoquera le décès de son épouse, Marie-Louise Termet, qualifiant son amour de liane.
La psychanalyse, qui se penchera sur l'œuvre et la vie d'Unica Zürn, profitera du divorce de sa mère pour voir chez elle une recherche névrotique du père. Et si l'on considère que HM = H(enri) M(ichaux) = l'H(omme) B(lanc) = HB = H(ans) B(ellmer), on a de quoi jouer. D'autant plus que le regard sera obsessionnellement présent dans les dessins d'Unica Zürn (qui seront étrangement qualifiés d'art brut, sans doute parce que le surréalisme est une affaire sérieuse de messieurs). Laissons la psychanalyse de côté, la fascination pour l'Homme Blanc est puissamment érotique. Unica Zürn écrit des récits autobiographiques à la troisième personne ; dans les Lettres imaginaires, une dame parle à un monsieur : "Je ne crois pas du tout à votre désir d'être avec moi. Cependant, j'ai un secret : lorsque vous travaillez à m'anéantir en vous et à m'éliminer de vous, vous avez trouvé bon de dormir, étendu, toute une nuit à l'intérieur de mon corps, pendant que, moi aussi, je dormais. Je dirais que ce fut votre réconciliation avec moi. Ce qui m'a fait du bien c'est le manque de lubricité dans votre effort d'anéantissement." L'attirance érotique conduit à une destruction qui jamais ne s'incarne. C'est sans doute en cela que Michaux fascinait : ce qu'il cherchait auprès des femmes prêtes à l'emprisonner de leurs désirs amoureux tentaculaires n'était pas charnel : lui qui a attendu toute sa vie de mourir tôt en raison de sa malformation cardiaque, lui qui n'a cessé d'être attiré et repoussé par la psychanalyse et qui a fait de son existence un objet d'étude, ne cherchait-il pas simplement à jeter un regard dans les gouffres d'où il espérait saisir une connaissance ? Pour l'heure, nous sommes en 1957, Unica croise le regard d'Henri, et quelque chose vacille qui appartient dorénavant à l'histoire de l'art et de la littérature.

Eric Pessan

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02/08/2021 | Lien permanent

La poésie pour Henri Michaux : un ”soudain élargissement du monde”

Je ne sais pas faire de poème, ne me considère pas comme un poète, ne trouve pas particulièrement de la poésie dans mes poèmes et ne suis pas le premier à le dire. La poésie, qu'elle soit transport, invention ou musique, est toujours un impondérable qui peut se trouver dans n'importe quel genre, soudain élargissement du monde... La seule ambition de faire un poème suffit à le tuer... J'écris avec transport et pour moi, tantôt pour me libérer d'une intolérable tension ou d'un abandon non moins douloureux tantôt pour un compagnon que j'imagine, pour une sorte d'alter ego que je voudrais honnêtement tenir au courant d'un extraordinaire passage en moi, ou du monde, qu'ordinairement oublieux, soudain je crois redécouvrir, comme en sa virginité...

Henri Michaux, cité par Raymond Bellour in Henri Michaux ou une mesure de l'être (éd. Gallimard, 1er janvier 1965).

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05/11/2018 | Lien permanent

Deux articles de Henri Michaux non repris dans La Pléiade

Malgré le volume, si je puis dire, des trois tomes de La Pléiade consacrés post-mortem à Henri Michaux, sous la direction de Raymond Bellour, Ysé Tran et Mireille Cardot & le travail des plus sérieux qui a présidé à cette impressionnante recollection des textes du poète dispersés aux quatre vents : en plaquettes, en revues, en programmes de théâtre, en catalogue d'expositions, en dactylogrammes, en livres - deux articles, n'ont pas été repris dans la prestigieuse collection. Ces deux articles ont paru dans la revue Les Nouvelles littéraires n°2882, 14-20 avril 1983, en page 45 : ce sont deux livres de jeunesse commentés par leur propre auteur :

"Pour Ecuador, 1929

ECUADOR : un départ pour la république de l'Equateur, un séjour de huit mois, un retour en pirogue sur le Napo, et en bateau par l'Amazone.

La plupart des voyageurs béent d'admiration quand ils croient qu'il convient de béer. Et les plus froids se fouettent pour écrire quelques mots sur les spectacles "importants".

L'auteur de ce livre n'a pas fait cela.

Il ne dit pas un mot du canal de Panama, et il lui arrive de parler d'une mouche. Il ne s'est jamais préoccupé d'être juste et impartial envers les choses, il s'est seulement préoccupé de l'être envers ses impressions.

Et s'il y a des poèmes dans ce livre, ils veulent être aussi sincères. Ils ne se croient pas supérieurs."

Henri Michaux

* * *

Pour Un barbare en Asie, 1933

L'auteur de ce livre, étant enfant, allait dans le jardin observer les fourmis. Il les mettait sur une table, ou lui-même s'allongeait par terre, se mettant à leur niveau.

Ce voyage dura des années pendant lesquelles il ne fut guère intéressé par autre chose.

Cette fois l'auteur a été en Chine et aux Indes, et aussi, quoique moins longtemps à Ceylan, au Japon, en Corée, à Java, à Bali, etc.

Il n'a pas observé les fourmis, qui cependant abondent, mais les races humaines.

Comme il est naturel, il s'est tenu à l'écart des Européens, et a tenté de disparaître dans la foule étrangère. Il a attrapé des poux dans tous les théâtres d'Asie. Il connaît, pour y avoir été quantité de fois, le théâtre chinois, japonais, hindoustani, bengali, coréen, malais, javanais, etc... il a vu les films japonais, chinois, bengalis, hindoustanis. Il a entendu la musique, les danses indigènes.

Il a assisté aux prières, il s'est approché des temples, des lieux saints, des prêtres de toutes les religions.

Il a lu ou bien relu les ouvrages des philosophes, des saints et des poètes, il a étudié ou parcouru la grammaire de chaque langue et son écriture.

Enfin et surtout il a regardé "l'homme dans la rue", comment on rie, comment on se fâche, comment on marche, comment on fait signe, comment on commande, et comment on obéit, les intonations, la voix, les attitudes, les réflexes (tout ce qui ne ment pas).

Il s'est ainsi enfoncé dans la peau des autres. Toutefois, dans la peau d'un Chinois, il reste lui-même et souffre et regimbe, il souffre dans la peau de l'hindou, il souffre dans la peau d'être homme et de ne pas trouver la Voie. Et tout en souffrant il montre de l'humour, comme on fait, comme tant d'autres ont fait..."

Henri Michaux

PS : Je me garderai de prêter le premier de ces livres, que je possède en édition originale, pour une raison à garder secrète (une "particularité" qui n'est pas mentionnée dans La Pléiade).

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03/10/2020 | Lien permanent

Henri Michaux et le ”Secret de la situation politique”

A l'origine du livre de Henri Michaux "Tranches de savoir suivi du Secret de la Situation politique", opuscule publié en 1950 à L'Age d'Or, illustré par Max Ernst,  une lettre, inédite, qu'il envoya au critique Maurice Saillet (1914-1990). Maurice Saillet lui avait suggéré de donner un texte à l'hebdomadaire "Terre des hommes", qui compta 23 numéros [N° 1 (29 sept. 1945) - n° 23 (2 mars 1946)]. Voici :

"Je suis un peu gêné. Il me semble que je vais vous paraître inamical en refusant de donner un texte à votre "Terre des Hommes". Mais je ne puis écrire pour les journaux. Toutefois, je viens de faire un gros effort pour éclairer mes compatriotes d'Europe (si j'ose dire), pour éclairer des amis qui souvent me questionnent à ce sujet, et enfin pour m'éclairer moi-même SUR LA SITUATION POLITIQUE. Si vous ne jugez pas le sujet au-dessous de l'esprit de vos lecteurs, imprimez-le, mais de grâce, que la plus grande attention soit apportée aux épreuves (au besoin, qu'il y en ait, exceptionnellement, des 2e) car il y a quelques mots peu usités encore, je le crains."

A cette lettre, Michaux avait joint un texte dactylographié portant des corrections manuscrites intitulé "La Situation politique". "Terre des Hommes" ayant cessé de paraître, ce texte fut communiqué à Pascal Pia pour "Combat" qui le publia malgré l'avis défavorable d'Albert Camus. Un tour de force donc, comme il en est plus d'un, dans l'histoire littéraire. DM

MICHAUX L'AGE D'OR.jpg

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04/02/2021 | Lien permanent

Henri Michaux, La Pléiade et le Livre de Poche

Un extrait de la lettre envoyée à Claude Gallimard qui proposait à Henri Michaux, fin 1983, l'édition de ses œuvres complètes dans La Pléiade :

"L'année dernière déjà (...), je vous répondis que cela n'était pas pour moi (...). La raison majeure est qu'il s'agit dans les volumes de cette prestigieuse collection d'un
véritable dossier où l'on se trouve enfermé, une des impressions les plus odieuses que je puisse avoir et contre laquelle j'ai lutté ma vie durant."

Seuls Les Cahiers de L'Herne n°8, entés d'un large appareil critique, trouveront grâce aux yeux du poète, une copieuse livraison de 528 pages, dirigée par Raymond Bellour. Il y eut deux éditions desdits Cahiers, du vivant de Henri Michaux. La première, en 1966 ; la seconde, en 1983, soit un an avant son décès - avec pour celle-ci une bibliographie remise à jour, ainsi que l'auteur de Plume l'avait demandé à François d'Argent, qui en avait la charge.

Une anecdote encore, rapportée cette fois par Allen Ginsberg :

"De toute façon, je voulais chanter pour Michaux, comme finalement tout poète devrait faire.
Ce chant fait partie de la pratique du Bhakti Yoga, le yoga religieux, où il est entendu que, dans cette époque Kali Yuga de destruction, la méditation, l'esprit, l'intelligence et les œuvres sont impuissants à sortir l'âme de sa boue matérialiste - seule la joie la plus pure peut nous sauver, seul le plaisir le plus pur ! Ainsi donc nous nous sommes assis, en fin d'après-midi, lui peut-être étonné de mes intentions bizarres, de se trouver dans une pièce non moins bizarre, la Seine coulant derrière la grille de la fenêtre, c'était le milieu de l'été. Son visage n'avait pas vieilli depuis notre dernière rencontre, mais semblait plus hésitant, plus doux, bienveillant - moi désorienté ! Comme j'étais désorienté ! Heureusement il ne me restait plus qu'à chanter "Hari Krishna Krihsna Krishna Hari Hari Hari Rama Hari Rama Rama Rama Hari Hari", le japa hindou maha mantra, et "Om A Ra Ba Tsa Na De De De De De De", un mantra syllabique tibétain sans signification fait pour occuper l'esprit quand on se promène dans un temple ou qu'on berce un enfant dans ses bras.
     Salut à Lui, merveilleux professeur." Allen Ginsberg


Sans oublier ce qu'Alain Bosquet disait de l'auteur de Paix dans les brisements :

"L'homme, d'une intelligence souvent féroce, était tendu et furtif : il ne se permettait aucune légèreté, et exigeait des autres une attention extrême. On n'était jamais à l'aise en sa présence ; mais la fascination jouait assez vite, dès qu'on s'habituait à cette voix un peu rauque, avec un reste d'accent wallon. Il fallait à la fois le regarder avec franchise et ne pas s'exposer à la moindre familiarité. Il ne s'aimait pas. Et s'il donnait l'impression de raser les murs, c'est qu'Henri Michaux se voulait asocial. De tous nos écrivains célèbres, il est le seul à avoir refusé de paraître en livre de poche. Il disait, avec rage : "J'ai deux mille lecteurs. C'est trop. Pourquoi en aurais-je vingt mille ?". Il disait aussi, et la boutade s'adressait à lui-même, : "Belge comme ses pieds."
On a un peu oublié qu'il fit ses débuts en pleine vague dadaïste, par une plaquette, Les rêves et la jambe, en 1923, chez un petit éditeur anversois. Ces quelques pages, qu'il reniait, donnent déjà l'atmosphère générale de toute son œuvre. C'est un bréviaire de la révolte contre soi : non pas une protestation contre la société ou la conscience, mais contre la constitution physiologique de l'homme. Pour le Michaux d'alors, la jambe est intelligente si elle oppose à son propriétaire une logique de jambe et non une logique humaine. Il invente, sans trop le savoir, un absurde physique, à une époque où les derniers expressionnistes allemands appellent la destruction de l'humanité. Homme du nord, Henri Michaux ne se confondra jamais avec les idées en cours à Paris.
Dans les premiers livres, le soupçon se généralise et prend quelquefois des allures cosmogoniques. Pour Michaux, il y a lieu de se méfier de tous les phénomènes visibles comme de tous les règnes de la nature, sans pourtant moraliser. Il ne s'agit pas de remplacer une vérité - esthétique ou éthique - par une autre. Tout au plus, pendant le reste des années 20, le poète accepte-t-il de faire une part à l'imaginaire, à condition que cet imaginaire-là ne ressemble en rien au merveilleux surréaliste. Le rêve, chez Michaux - en cela il s'insurge contre les conceptions d'André Breton - n'est nullement libérateur : il est épouvantable et destructeur." Alain Bosquet

MICHAUX PEINTURE 1977.jpg

Henri Michaux, peinture 1977

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06/02/2021 | Lien permanent

Henri Michaux et sa correspondance avec Franz Hellens (II)

Suite et fin       ... Henri Michaux vient de temps en temps à Paris, 6 heures de train, puis finit par y résider. Sans le sou (il fait appel à Hellens), crevant de faim, parlant de mettre son pardessus au Mont-de-Piété si le Mont-de-Piété en veut, on est en janvier 1924, il ne doit pas faire très chaud.
Il ne fait pas qu'écrire. Il cherche au Disque Vert de nouveaux lecteurs, des abonnés. Il approche dadaïstes (Tzara) et surréalistes (Breton, Aragon, Desnos), il fait la connaissance de Jean Paulhan, de Jouhandeau (il sera surveillant dans le collège où Jouhandeau enseigne), de Philippe Soupault. Un emploi précaire dans l'édition lui autorise des "rires sarcastiques" à propos des épreuves dont il assure la correction. Il lit Freud, "Poisson soluble" qui vient de paraître. Il propose au directeur du Disque Vert de faire comme La Révolution Surréaliste une "enquête sur le suicide". Breton et Aragon n'y voient pas d'inconvénient. Peut-être croient-ils voir en lui un disciple belge. Le jeune Michaux, prudent : "Il ne faut pas avoir l'air d'avoir besoin d'eux, ou de faire partie d'eux". Mais, d'autre part, "gaffe" à un article de Pia dont "l'inimitié pour Breton et Aragon" est "bien connue et sotte". L'essentiel : "nous sommes avec la bonne et vraie avant-garde". Pour le quotidien : crampes d'estomac, causées par la faim, et maux de dents. Qu'importe ! "... je me trompe fort OU TOUT CE QUE J'AI FAIT CONCOURT A UN VASTE SYSTEME PHILOSOPHIQUE."
Il faut tout de même penser qu'il finit par en avoir assez de cette vie de bâton de chaise. Le 27 décembre 1927 il quitte Paris pour Amsterdam, s'embarque le 6 janvier 1928 pour l'Equateur. Il s'enfonce dans la forêt amazonienne. Il envoie une photo. "Je n'ai jamais connu un isolement comme celui-ci, même quand j'étais avec des matelots". Il revient, débarque au Havre le 15 janvier 1929. "Ne me croyez pas guéri des voyages. Je compte bien l'année prochaine (vers la fin) être en Extrême-Orient... Toujours entrer par une lucarne ! On a beau en être fatigué, il faut continuer pour éviter le pire".
Encore quelques lettres, de plus en plus espacées. Du genre foutez-moi (gentiment) la paix. Il est devenu Henri (i) Michaux, poète reconnu, auteur d'Un certain Plume, d'Ecuador, de recueils qui ont suscité l'admiration de quelques centaines d'amateurs, il peint, il a perdu sa femme dans des circonstances tragiques. En 1948, à quel propos ?, Franz Hellens m'envoie un texte sur Michaux que je publie dans Combat. Michaux s'énerve. "On ne parle que trop de moi."
Des extraits de certaines de ces lettres ont paru. D'autres, toujours du jeune Michaux, sont annoncées. "Vite, frottez une allumette". On aurait eu tort.
Michaux écrit à Hellens le 13 septembre 1952 : "L'étude sur M. (Mélusine), non terminée je crois, a dû se perdre". Un P.S. qui a dû faire sourire le bon, le brave Franz Hellens.

                                                                                              Maurice Nadeau

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07/06/2018 | Lien permanent

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