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27/06/2020

"Promesse, tour et prestige", de Gérard Macé, éditions Gallimard, 17/9/2009, 88 pages, 12 €

La formation des mots


ressemble à celle des étoiles (une haleine qui devient sonore,
un gaz qui devient solide) et leur disparition aussi,
quand la matière noire s'effondre sur elle-même.
Car des systèmes qui s'ignorent ont de secrètes
correspondances, comme la musique et les cristaux,
les masques et les papillons dévorés par de grands yeux,
le morse est la lumière intermittente de l'univers.


Le linguiste et le jongleur, sans le savoir
se livrent au même exercice : ils inventent
un mouvement perpétuel en lançant des balles
ou en dressant des listes, ils imitent la position des astres
en récitant des déclinaisons.

 

◊  ◊ 

 

Pour écrire un seul vers


il faut se souvenir de cent ans de sommeil
et des vies qui précédèrent, de la piqûre des roses
et de l'aïeule qui voulait voir la mer,
de l'homme au large dos couvert de ventouses
et de ses enfants effrayés par les méduses.
Des objets magiques et des formules
où s'enroulent des fleurs autour des lettres gothiques.


Puis abandonner à son sort
cet homme en nous qui se noie dans ses souvenirs,
pour renouer avec la magie sans accessoires
et la jonglerie sans rien, mais avec des gestes
suspendus en l'air et la réalité
qui se retourne comme un gant.


Avec les êtres et les choses
attirant les mots comme des aimants.

 

Gérard Macé

09:21 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

26/06/2020

"Un jour", de Maurice Genevoix, aux éditions du Seuil, février 1976

L'après-midi brûlant régnait sur les bois et sur l'eau. L'étang rayonnait comme le ciel, d'un bleu ardent et gorgé de lumière qu'exaltait, ceinture sombre, le reflet des frondaisons. Je regardais presque en face de nous, les fûts puissants des arbres inconnus qui m'avaient arrêté dans la nuit. Je pouvais sous leur couvert distinguer la forêt des cônes tronqués, lisses et rougeâtres, auxquels s'étaient heurtés mes pas. Je les montrai du doigt à d'Aubel.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Des taxodiers ; des cyprès chauves, si vous préférez. C'est un de mes grands-oncles, consul général à Saint-Louis, qui les a acclimatés ici. Vous retrouveriez les mêmes à Chenailles, et aussi à Châteauneuf, dans le parc du ci-devant château des La Vrillière et des Penthièvre.
- Ces protubérances, à leur pied ?
- Des poussées de vie, je pense, que leurs racines haussent vers la lumière. On dirait des tuyaux d'orgue mutilés. Et c'est vrai, vous savez : par les fortes bourrasques, ils chantent.


Maurice Genevoix

ABEL 1.jpg
Collage de Daniel Abel

07:17 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

25/06/2020

"Idéogrammes en Chine", de Henri Michaux, éditions Fata Morgana, 14 juin 1975, 46 pages

Toute langue est un univers parallèle. Aucune avec plus de beauté que la chinoise.


La calligraphie l'exalte. Elle parfait la poésie ; elle est l'expression qui rend le poème valable, qui avalise le poète.


Juste balance des contradictoires, l'art du calligraphe, marche et et démarche, c'est se montrer au monde. - Tel un acteur chinois entrant en scène, qui dit son nom, son lieu d'origine, ce qui lui est arrivé et ce qu'il vient de faire - c'est s'enrober de raisons d'être, fournir sa justification. La calligraphie : rendre patent par la façon dont on traite les signes, qu'on est digne de son savoir, qu'on est vraiment un lettré. Par là, on sera... ou on ne sera pas justifié.


La calligraphie, son rôle médiateur, et de communion, et de suspens.


Une langue, en Occident, qui aurait eu seulement une parcelle des possibilités calligraphiques de la langue chinoise, qu'en serait-il advenu ? Les époques baroques qui s'en seraient suivies, et les trouvailles des individualistes, les raretés et bizarreries, excentricités et originalités de toute sorte...


La langue chinoise en était capable. Partout elle donne des occasions à l'originalité. Chaque caractère fournit une tentation.

 

Henri Michaux