En hommage à Marcel Béalu
30/04/2014
A propos de Marcel Béalu (né en 1908 à Selles-sur-Cher ; mort en 1993 à Paris), ce témoignage de Christiane Parrat, que je vous laisse découvrir :
"C'était à la librairie Le Pont traversé au Quartier Latin, dans les années soixante : mon île de calme et de volupté. Rien que des livres que je pouvais lire jusqu'à plus soif sous le regard bienveillant de Marcel Béalu. Comme ma bourse était plate, cela me convenait bien. C'était l'époque de Noces de Sang de Lorca au théâtre du Vieux Colombier (en 1963). Jenny assurait la mise en scène et j'entends encore la voix de Germaine Montero dans le rôle de la Madre. Ce fut le premier livre que je cherchais sur les rayons poussiéreux de l'antre de Marcel Béalu. Il m'ouvrit à ce grand poète. Puis vint la parole claire de René Char in Lettera Amorosa. Une Parole en... archipel qui en appela bien d'autres.
Ponge, Tardieu et Michaux suivirent de près et j'entrais en poésie comme on ouvre une porte interdite. Vision déréglée, subversive et tellement "vraie" du monde. J'étais alors, au Pont traversé, juchée sur un tabouret, adossée aux étagères, tellement absente à ce qui n'était pas le livre où j'étais plongée que les heures passaient comme un songe, me laissant porter par les mots. Quelques lecteurs assidus s’y retrouvaient de même. Nous nous passions des livres, des titres, des fragments de textes.
La rencontre avec le théâtre de Beckett, je la lui dois aussi. Malone, Pozzo et Lucky devinrent mes amis imaginaires et dérisoires dans ce monde un peu absurde. Je demandais à M. Béalu où trouver des livres de Colette - ma grande passion à l'époque. Il me mit dans les mains Le fanal bleu édité par Ferenczi. J'ai encore ce merveilleux livre imprimé en 1949 (pour lequel il me fit un prix d'ami ! Sur la page 42 un effacement des signes typographiques formait une bande verticale et j’essayais de rétablir le texte manquant du mieux possible, au fil des années). Un jour, je découvris Le mariage de Don Quichotte, de Paul-Jean Toulet : une édition de 1924, du Divan. J'étais bouleversée par le grand gémissement de la sirène qui s'enfonce dans la mer quand le Quichotte s'écrie : "Je te connais, tu t'appelles hallucination !". Bien d'autres livres encore, lus sur place, appelant plus tard d'autres lectures. Bachelard, L'eau et les rêves, édité par Corti, c'est là aussi que je l'ai découvert.
Un jour, il y eut Le chant du monde de Jean Giono. Encore une vieille édition de 1934 ! Livre qui me conduisit à un autre : Que ma joie demeure... 1965... moult hésitations. Que faire de ma vie que je voulais bohème, en marge ? Et ce fut la rencontre à Manosque avec Jean Giono, si doux et patient, qui m'ouvrit un chemin. Un trou dans le temps pour me poser, confiante, face aux années à venir...
Les années soixante ? Deux guides : Marcel Béalu et Jean Giono.
Voilà, quelques fragments de mémoire comme des laines de troupeau laissées sur les griffes des arbres et des clôtures, lors de mes transhumances."
Christiane Parrat
A lire aussi, la contribution de Jean Gédéon: "Marcel Béalu, un poète de l'Ecole de Rochefort" (12/12/2011) : http://pierreetsel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/
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