Diérèse 61, "Affinités"
04/06/2014
On en a parlé, on en parlera, de ce fameux Diérèse opus 61, avec, fidèle au poste, Pacôme Yerma, en première de couverture ; et, en quatrième, ce plasticien dont je vous parlais le 20 mai, Marc Bergère.
"Vivre est un voyage". C’est une phrase bateau. Si je dis que c’est un voyage qui contient des voyages, ça ressemble au n° 61 (300 p. 15€) de Diérèse (8 avenue Hoche 77330 Ozoir-la-Ferrière). Ça commence avec Meng Hoaran (Chine 689-740) "le voyageur se rend au pays des cinq tombeaux", ça continue avec Jan Koneffke (Allemagne) "allons voyager dans ce pays d’abondance/ qui ne connaît point d’administration/ n’a jamais besoin d’une épargne ménagère", avec Michel Butor qui nous emmène aux Antilles "pour flâner parmi ces îles/ non point les cartes postales", avec les Cévennes de Jean-Marc Sourdillon "Les Cévennes, bien que méridionales, ne font pas penser à l’Italie… à la Grèce, à l’Espagne… elles font plutôt penser à un moment de la journée, à une région du temps" pour arriver dans la Mangeoire de Jean-Louis Giovannoni "Une vie. Toute une vie pour rejoindre ce lieu. Ici même. Au premier tournant. Au sortir de son lit. Au fin fond. On ne sait où ?". Une bonne part de ce numéro de Diérèse est consacrée à l’auteur de Garder le mort (Jean-Louis Giovannoni). Sinon, 300 pages, donc plein d’autres auteurs, de nombreuses critiques ; des nouvelles : Eugénie Rambaud, Jacquette Reboul ; des pages de journaux (enfin, ça y ressemble) : Yves Charnet, Christophe Stolowicki (l‘un et l‘autre écoutent My favorite things de Coltrane). C’est pas mal comme conclusion My favorite things.
Christian Degoutte, in Verso
Vous donner ici à lire la partie terminale du poème en prose de Jean-Marc Sourdillon (p. 129/130), "Dans l'enceinte des Cévennes" :
"Je ne savais à qui parler dans mon poème.
Désormais je sais.
Oui, bien sûr, c'est à toi que je parle. Toi, et personne d'autre, parce que j'ai mêlé ma vie à la tienne au point que si nous sommes deux tellement différents pris isolément, elles n'en font plus qu'une lorsqu'on considère leurs mouvements, et que je ne peux pas ici tout seul, sans parler de toi, rendre visible ce tison enfoui au-dedans d'elles.
Il n'y a pas de tison en dehors de nous ensemble.
Il n'est qu'entre nous, dans l'arc que forment nos deux corps quand ils se rapprochent ou qu'ils s'écartent, dans la rue ou la maison, comme un oeil avec sa pupille au milieu, indivise, iridescente.
C'est ce que je voudrais te dire, ce mot que je retiens, mais je n'y arrive pas. En tout cas, pas tout seul. Il faut que tu m'aides. Seul, je ne peux que dire "toi", répéter sempiternellement ton prénom en le murmurant.
Mot tison. Rien qu'à le prononcer, il me brûle les lèvres, celles qui bougent au-dedans de moi, comme sans doute il les a brûlées déjà, autrefois. Oui, ce léger cheveu quand je parle, c'est lui, son charbon sur ma langue depuis longtemps, sa trace dans ma parole, la preuve que j'ai dû le prononcer au moins une fois en y croyant.
Ce mot entre nous qui passe, ce silence à sa place aujourd'hui qui nous lie parce qu'on ne peut le prononcer tout à fait qu'en l'écrivant – comme si, lorsqu'on écrit, on sentait tout depuis l'avenir, ou depuis ce centre de gravité qui en tient lieu – mot de trop de gravité pour être dit et qui seul, pourtant, s'il est épelé authentiquement et en silence tout au long d'une vie, nous fera naître."
Jean-Marc Sourdillon
L'ouverture du Marché de la Poésie, place Saint-Sulpice à Paris est toute proche maintenant, tenez-vous prêts. Isabelle Lévesque et votre serviteur vous espérons... nombreux.
Isabelle signera son livre paru aux Deux-Siciles : Un peu de ciel ou de matin, le 14 juin entre 16h00 et 17h00, stand 214, qu'on se le dise !
Toutes les nuits, du 11 au 15 juin, sera reproduit sur ce blog l'un des plus beaux poèmes parmi ceux qui ont fait la vie de la revue Diérèse (ne m'en demandez pas plus). A tout bientôt, DM
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