Carnet des saisons : le Printemps
07/06/2016
Notules
Lundi
Les grappes de forsythias ont jeté sur la clôture une touche infiniment plus claire, et les ritournelles de jadis revenues en mémoire me font voyager jusqu'à mon enfance lorsque, revenant de l’école – à qui l'on donnait le nom, de l’autre côté de la Méditerranée, de « mission française » – le cartable sous le bras, ivre de sons et d’odeurs, le cheveu hirsute, je découvrais le monde sous son plus beau jour.
Mardi
Je dirai le genêt roi qui le long du grillage fleurit et pousse jusqu’à la provocation son art de nous chauffer les sangs sous le fin tissu de ses rayons : pour rejeter loin l'Hiver et que prenne corps l'instant à vivre, comme on se donne à ce qui s’offre le plus généreusement, voilant et dévoilant le bleu, la couleur de la Question.
Mercredi
Jour de cantate et de fugues, ce désir ah ! de toucher, d'être touché par la peau du monde, des joies et des rires éclatent comme des bulles. A la vérité j'avais en affection des herbes-au-lait que la flamme vive de l’Olympe effleurait de son souffle, et, comme la peinture qui grandit sur la toile par légères touches successives, quelles constellations sous la voûte crânienne ! Cœur à cœur, rythme à rythme, dans un temps qui est mien sans être mien. Naissant, renaissant à chaque enclos.
Jeudi
Sur le talus les coquelicots ont afflué, rouges comme des cœurs que j’imagine un moment sans autres attaches que l'air ambiant, posés dans un souffle, on ne sait trop où. Sauf ces tiges qui paraissent après coup : dans l’herbe elles se perdent et donnent à penser que les défunts ainsi le plus librement respirent, depuis les pores du sol que réanime le Printemps.
Vendredi
Un galon de lumière mauve l’a découvert, piqué de nævi pourpres et ses boutons, foncés aussi, conservent leur entier mystère : le rhododendron qui jadis pavoisait à quelques pas des pierres ocre du mur marquait la fin du Jardin. L'ombre n'était plus alors qu'un caillou murmurant dans le ruisseau du Temps... Depuis toujours je n'ai qu'une hâte, au hasard de mes pérégrinations : voir le Soleil ouvrir une brèche dans l'immatérielle paroi du vide qui nous guette, bordant les abîmes, l'espace dense, qui s'abolit dans son accomplissement.
Samedi
Deux marronniers hauts me toisent, dont les chandelles roses laissent transparaître le sombre du feuillage ; et le regret de n’avoir pas toujours su vivre aux éclats, de n'être allé plus loin que l'immédiat du visible, soufflé par les constantes images d'un monde dont nul ne peut goûter tout à la fois les richesses infuses.
Daniel Martinez
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