Correspondance Henry de Montherlant-Michel de Saint-Pierre opus 1
18/08/2014
Les 110 lettres qu'échangea Montherlant (1895-1972) avec son cousin, qui fut son plus fidèle confident, Michel de Saint-Pierre, restées inédites à ce jour, sont un document de première importance pour une approche directe de ce qu'il entendait par l'acte d'écriture, par les sujets abordés, d'ordre personnel ou littéraire. Elles courent de 1945 à 1972.
Montherlant y évoque ses propres oeuvres : La Relève du matin, Malatesta, Le Maître de Santiago, Demain il fera jour, Port-Royal, Brocéliande, La Reine morte, La Ville dont le prince est un enfant, Fils de personne,... Il aborde un projet de film avec Robert Bresson autour d'Ignace de Loyola (22 octobre 1947), son procès avec Grasset (1949 et 1953), son enfance (29 mars 1961).
Il revient souvent sur des questions de pureté de la langue française, comme dans cette lettre du 1e août 1970 : "Puisque nous en sommes aux questions de langage, je vous signale que vous m'écrivez : "J'ai écrit dans l'un des chapitres de mon roman." Quelqu'un m'a dit autrefois que l'on n'employait "l'un" que lorsqu'il s'agissait de deux objets, sous-entendu : "l'un et l'autre", et qu'il fallait dire "un" quand plusieurs objets étaient en cause..." Il livre également une pertinente critique des oeuvres de Saint-Pierre, dont Les Aristocrates (1954).
Son profond respect des mots, du sens et de leur portée apparaît par exemple dans la lettre qui suit. Attitude intransigeante s'il en est - qui pourraient laisser pantois certains littérateurs du moment - et qui le positionne d'emblée, face aux confrères de la presse littéraire en particulier.
L'art d'écrire : "L'art est lent, la culture est lente, la réflexion est lente, la connaissance est lente. C'est dire qu'on ne peut qu'approuver... celui qui veut se consacrer à écrire. En aurez-vous le temps ? C'est en effet ce que nous pouvons nous demander tous deux..." (22 octobre 1947). - "J'aime votre nouvelle [Contes pour les septiques]. Mais je trouve que vos gens forcent toujours un peu la pose, comme dans les tableaux... : le visage impassible sous les soufflets, la rose à la bouche, etc... Il me semble qu'à mon âge on cherche surtout le ton juste, et vous ne l'avez pas toujours. Il reste que vous avez peut-être pensé que les gens de Malatesta prennent eux aussi des poses, et que ceux de Santiago n'ont pas le ton juste..." (1947, d'après une note postérieure). - "... J'ai quelquefois de la naïveté dans ma conduite - une certaine confiance dans la vie n'est pas parvenue à m'en débarrasser tout à fait, - mais je n'ai jamais de naïveté de mon art ; je n'y perds jamais la lucidité. Ce que vous appelez naïveté, c'est une certaine façon de sortir ses tripes, ou d'ouvrir son coeur, ou les deux, qu'exprime un mot connu... "Coupe des mots : ils saignent". C'est cette naïveté qui rend les textes vrais & émouvants... Cette naïveté consciente & voulue, je l'ai eue dès le début ; L'EXIL, écrit à 18 ans, est fait de cela. Elle paraît ridicule à ceux que Pascal, je crois, appelle "les malingres". Mais les malingres ne voient pas le ridicule où il est, et ils le voient où il n'est pas, c'est une règle qu'il faut se rappeler toujours en écrivant. Chaque fois qu'on se dit : "les gens vont trouver cette phrase ridicule", il faut écrire cette phrase..." (27 février 1960). - "J'ai commencé moi-même - le 23 juillet - un nouveau roman..." (10 août 1965). - "Depuis une cinquantaine d'années que je lis des articles sur la crise du roman ou la mort du roman, je continue à aimer le roman..." (19 avril 1969).
Henry de Montherlant
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