Joan Mitchell opus 2
03/01/2016
Suite et fin
Des parentés ? Ni Kline, aux structures moins aériennes, ni De Kooning, au dessin plus anguleux et tranchant, mais Hans Hoffmann, dans l'atelier duquel Mitchell a séjourné en 1947, et Cy Twombly, dont elle partage le goût pour les fausses salissures et les maculations calculées. Des constantes singulières ? Elles se reconnaissent bientôt. La diversité des textures et des densités est l'une d'elles. Joan Mitchell sait aussi bien répandre un lait diaphane de couleur très diluée que plaquer des amas compacts que l'on ne saurait comparer qu'à des masses de silex dans de la craie. Entre ces extrêmes se placent l'aplat dense et lisse, la touche appuyée, le relief sorti du tube et séché en rides.
A cette science texturologique répond la virtuosité chromatique. Il y a des couleurs Mitchell, un orange qui tient un peu du tournesol selon Van Gogh, des bleus marins et nocturnes, des blancs entre neige et aube et, plus belle encore, plus rare, l'alliance d'un rouge légèrement carmin et d'un vert vif dont on ne saurait détailler la grâce. Les filaments sanglants glissent vers le vermillon au contact de la complémentaire, qui, elle-même, noircit et paraît se faner. Dans l'épaisseur, du rose transparaît. C'est là, à son plus haut point, la chair voluptueuse de la peinture, qui envoûte pour peu qu'on la regarde de près, tout en se retenant d'y porter la main et d'éprouver du doigt le grain de la peau.
Il faut se reculer de quelques pas pour embrasser les grands poliptyques savamment construits, les Bluets de 1973, le Garden for Audrey de 1979, la Goodbye Door de 1980 - autant de tableaux qui triomphent à force de puissance tempérée de grâce et d'élégance. Période américaine et période française, années de New-York et années de Vétheuil, où l'artiste s'établit en 1967, l'ampleur et la maîtrise se vérifient. ne changent guère plus que les dominantes, plus souvent bleutées et pâles d'un côté de l'Atlantique, plus souvent vertes et jaunes de l'autre.
Dans les dix dernières années de sa vie, particulièrement dans la série dite de La Grande Vallée, commencée en 1983, on en viendrait à regretter un impressionnisme un peu insistant. D'une densité qui ne craint ni l'étouffement ni la confusion, les toiles paraissent soudain lourdes, privées d'air et de profondeur. Elles datent d'une période de moindre tension, où le labeur se voit, où la bicyclette, pour reprendre l'image de Joan Mitchell elle-même, n'allait pas toute seule, sans les mains.
Philippe Dagen
Les commentaires sont fermés.