L"envie de désert " des poètes qui partent vivre à la campagne
02/11/2019
Les poètes sont volontiers discrets. Des dizaines d'entre eux, souvent d'anciens professeurs ou instituteurs, ont d'ailleurs volontairement quitté une grande agglomération pour s'installer à la campagne. L'"exil" campagnard ne relève pas seulement de la volonté de quitter les nuisances de la ville, mais bien plutôt d'un choix mûri. Jean-François Manier, fondateur de Cheyne Éditeur, a opté pour Chambon-sur-Lignon, sur le plateau cévenol. Il insiste sur le paysage : "C'est un paysage propre à la concentration, à la méditation. Il faut du silence pour la création." Le plateau cévenol offre un espace ouvert : "Je n'aurais pas pu m"installer dans une vallée ardéchoise", précise Jean-François Manier.
Loin des clichés d'une opposition simpliste entre la ville et la campagne (on se reportera, dans le registre cinéphilique aux fameux Contes de Rohmer) ou d'une affirmation régionaliste, les poètes avouent trouver à la campagne un horizon nécessaire, des lignes horizontales et verticales. Claude-Louis Combet aime, "à partir de ces paysages, extraire des lignes d'abstraction." A les entendre, il existe une structure de l'espace, qui structure à son tour l'esprit de celui qui écrit.
La campagne qu'ils ont choisie se mue, peu à peu, en un espace mental qu'ils conservent en eux et qu'ils peuvent recomposer à l'infini à travers le travail d'écriture. On retrouve comme dans l'un des recueils de poésie de Paul Claudel, Les Cinq Grandes Odes, une nécessaire mise à l'écart du monde : non pas pour l'ignorer, mais pour justement mieux l'appréhender et le comprendre.
L'un des "cahiers" de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d'Auvergne s'intitule Écrivains en campagne (Cheyne Editeur). L'ouvrage s'ouvre sur une parole de Brassens : "C'est pas seulement à Paris que le livre fleurit." Franck Wattel et Paul Basselier - ils ont créé en 1987 l'entreprise Double-vébé, qui a acquis sa notoriété avec Les Iles d'Auvergne, édité en 1994 - s'y expliquent quant à leur choix de quitter Paris pour l'Auvergne : "A un moment de notre existence, nous avons eu envie de désert. (...) L'Auvergne est un désert. C'est sa noblesse." Encore faut-il comprendre le terme de "désert" : il s'agit ici d'un paysage propice au recueillement, un vide d'où peut surgir une parole.
James Sacré, qui a publié dans Diérèse, aime à découvrir dans le paysage "des mouvements de lignes" dans lesquels se déploie "le foisonnement du réel". Sacré ajoute : "D'un côté, j'ai le sentiment que le paysage donne des choses à l'écriture, mais qu'est-ce que les mots donnent aux paysages ?", s'interroge le poète. Comme s'il était redevable du lieu qu'il a investi.
Un écrivain comme Alain Chany (auteur d'Une sécheresse à Paris et de L'Ordre dans la dispersion), ancien professeur de philosophie, revenu, lui aussi, dans la montagne auvergnate, sur les terres de ses grands-parents, propose une approche plus sociale de son territoire réapproprié : "On parle parfois de désertification pour désigner le mal de ce pays. Déshumanisation, à mon sens, conviendrait mieux ; ou désocialisation." Pour Alain Chany, cette partie du Massif central est "un monde à part, une espèce de nulle part assez peu fréquentable, où le corps se recroqueville pour résister."
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