"Le haut mal des créateurs", Claude Aveline première partie
19/05/2017
Le 24 septembre 1973, à Bruxelles, au 53-57 rue des Éperonniers, vit le jour un livre dont ne s'empara pas la critique, certes. L'éditeur ? Jacques Antoine. L'auteur : Claude Aveline. Claude avait 72 ans, et il dit d'emblée à Jacques : "Polémique ou méditation, ce livre est mon testament." Le sous-titre du livre en question : "le complexe d'un siècle inexistant". "ma seule façon de prendre au piège, déclare-t-il en commençant, c'est de prendre au mot." Et ce qu'il va prendre au mot, en deçà des œuvres (qui peuvent être des chefs-d’œuvre), ce sont "les théories, thèses, manifestes, programmes, anathèmes" par lesquels, depuis vingt ans [soit en 1953], dans tous les genres, s'est non seulement justifiée mais glorifiée l'obsession de la nouveauté à tout prix, haut mal de tant de créateurs. Le but affiché de Claude Aveline est de les contraindre, dans cet opus, à un dialogue avec eux-mêmes. Il ajoute, pour solde de tout compte : "Je n'ai jamais cherché à donner bonne ou mauvaise conscience. Je cherche à donner conscience." Bien que de l'eau ait coulé sous les ponts depuis, ces réflexions sont-elles absolument inactuelles ?, à vous de voir. DM
Quant à la poésie ?
Musique et poésie... Entre 1922 et 1928, quand je travaillais dans la carrière du livre en en publiant quelques-uns qui ne pouvaient être de moi puisque je n'en avais encore écrit aucun, je me rappelle avec complaisance les six titres dont s'est formée ma collection de "La Musique moderne" : le premier ouvrage sur Honegger, le premier sur le Jazz, le premier sur Pelléas, le premier sur Stravinski, les premiers écrits de Darius Milhaud. Je voulais aussi un lien avec la littérature : André Suarès me donna Musique et poésie.
Son titre m'est toujours resté si proche qu'ayant à nommer le présent chapitre, je n'ai pu d'abord écrire : De la musique sans ajouter : et de la poésie. J'ai biffé, non sans humeur. Je rétablis, grâce à une parenthèse. Elle me permet de dire au moins pourquoi je ne dirai rien.
Ce n'est pas que la poésie des vingt dernières années, dans ses œuvres les plus applaudies, jouerait une partie trop modeste au concert de la Novation. Elle la jouerait d'autant mieux qu'à l'instar de la musique elle estimerait grotesque une étude quelconque du goût d'André Suarès. Je m'interrogeais tout à l'heure sur la musique des mots devant la musique tout court. Préoccupation d'ancêtre ! Pour leur cure périodique de rajeunissement, les deux chères Immortelles qui n'avaient connu de meilleure médecine, durant des siècles, que de se faire violer, et très souvent ensemble, doivent se soumettre à des examens de laboratoire intimes et dégoûtants, d'où elles ressortent dos à dos, toujours plus intolérables l'une à l'autre.
Le poète d'aujourd'hui caresse l'ambition et nourrit la certitude qu'il est le philosophe plus l'inspiré. On se moque bien de nous à se moquer de l'inspiration. Nous entendons sans cesse évoquer la Métaphysique, l'Absolu, L’Être, avec des majuscules, et les privilégiés qui se chargent de les exprimer en poésie ne se croiraient pourvus d'aucun don singulier ? Mais nous sommes tous doués, tous tant que nous écrivons, prosateurs, poètes, - philosophes ! L'inspiration devrait continuer à courir les rues, et nous derrière, quitte, les plus chanceux, à découvrir la Mort quand elle se retourne pour nous regarder en pleine figure : car elle seule peut nous apprendre à parler de L’Être, de l'Absolu, du Ciel vide ou plein, comme du printemps, de l'automne et des petits oiseaux, sujets flétris par les systèmes.
Claude Aveline
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