Gérald Neveu II
18/06/2017
Les Derniers Poèmes
Cette nuit...
Cette nuit inventée qui bat solitaire
contre l'aorte, serait-elle
le sujet antérieur de ces longues histoires imbriquées comme nœuds de lombrics ?
vers l'aube
suinte
la gouttière.
Un oiseau balaie l'angle oculaire où fourmillent les gestes.
Dans le cadre d'une fenêtre
le geste des mains tisse
les scintillements essentiels,
maigre enfilade de rires
au verso du souffle.
Mais belle indigente à têtes blanches
c'est la nuit qui prend comme plâtre
J'ai cherché longtemps
et je cherche
la superposition d'une malice simple
à tout élan
Donnez-moi, vous qui vivez l'angoisse de parler, celle de voir
Rien n'éteint le désir
Donnez-moi, vous qui vivez, le sceau brûlé de l'action
Une soif constellée tire vers elle-même
des salves muettes.
janvier 1960
* *
Midi
Il est tombé - dit-on -
Plume noire et plume blanche
Sa soif traînant
En immense branchage.
Et donnez-moi - dit-on - ce sourire
Et ce géranium !
Les portes battues parlent d'or.
Le vent durcit en coquillage.
Descends - tu le peux -
De ton chariot de victoire
Pour un triomphe plus amer,
Pour une marche plus charnelle.
Lèvre sur cœur comme vipère,
Ma petite tuile d'orgueil...
On écoute tourner le vin,
Noircir le sang,
Changer le sable.
On écoute pourrir
comme une musique de terre
quelqu'un de seul.
Et que s'écrase la pleine candeur
A rendre sourd
A pleines forces contre tout !
Tu tends les mains au plus
lointain du feu.
Ta voix circule dans la pierre.
Quelle boisson désormais pour
Noyer le soleil ?
Non ! Rien !
Tout au plus, au petit jour,
Une hâte lasse, et
- barrant le visage -
L'ancien supplice désamorcé.
Le dessin était pur qui verrouillait
L'espace !
Nids blancs à fond de ciel,
Mains de bois dur sans espérance,
C'est Midi qui se ferme
Comme un objet.
Gérald Neveu
29 février 1960
Diégèse
Poèmes saisissants que voici, que j'ai tenu à faire découvrir à ceux qui ne les connaissaient pas encore. Pour aller vite, nous sommes ici en présence d'une voix qui égale le meilleur de Jean-Philippe Salabreuil... Qu'est-ce qu'une langue, sinon un corps ? Qu'est-ce qu'écrire, sinon toucher à ce corps, et assumer toutes les conséquences du geste ? Toucher à la langue est consubstantiel, et, comme chaque fois que l'on touche au corps, cela fait jouir ou souffrir selon. Au pire, jusqu'à cette "enclave de nuit noire" dont parle Cédric Demangeot dans son dernier opus "Autrement contredit", éd. Fata Morgana, 17 mars 2014.
J'en terminerai avec cette citation d'Héraclite (550-480 av JC) : "L'homme touche la lumière dans la nuit, quand il est mort pour lui, la vue éteinte ; mais vivant, il touche au mort, quand il dort, la vue éteinte ; il touche au dormeur quand il veille.", traduite par Bollack et Wismann. Manière de dire que, sans aller jusqu'à une martyrologie de principe qui se nourrirait des manquements cristallisés du corps social, il conviendrait aujourd'hui, pour les lecteurs de Gérald Neveu que j'espère nombreux, qu'ils aient à l'esprit que derrière tant de souffrance intériorisée pourrait se cacher un mauvais rêve vigile qui le renverrait donc sans fin, en esprit & selon la formule héraclitéenne, à son propre sommeil. Oui, Gérald n'est pas mort : car un bon poète est immortel, justement. A Alain Brissiaud, DM
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