Carlos Drummond de Andrade (1902-1987)
02/08/2016
Mort en août 1987 à Rio-de-Janeiro, Carlos Drummond de Andrade est considéré comme le plus grand poète brésilien du XXe siècle. L'ample anthologie de poèmes, éditée par Gallimard (446 pages), textes traduits et présentés par Didier Lamaison, est assez riche et diverse pour convaincre le lecteur français du bien-fondé de cette appréciation.
Drummond - ou CDA, - comme on l'appelait familièrement au Brésil, est né en 1902 dans la province minière du Minas Gerais. Journaliste et chroniqueur après des études de pharmacie, puis fonctionnaire de l'Education nationale et des Monuments historiques jusqu'à sa retraite en 1962, il publie son premier recueil de poèmes en 1930. L'écrivain publia également des contes (Conversation extraordinaire avec une dame de ma connaissance et autres nouvelles, éd. Métailié, 1985). Biographie minimale, mais suffisante aux yeux de Drummond.
Deux mots, deux réalités, donnent la clé, sinon de l'ensemble de son univers poétique, du moins de la manière dont il percevait cet univers : "gaucherie" et "pierre". Il n'est pas indifférent que l'un des premiers poèmes - qui ouvre également cette anthologie - commence ainsi :
Quand je suis né, un ange tortu
de ceux qui vivent dans l'ombre
a dit : "Va, Carlos, sois gauche dans la vie"
(ou bien, dans une autre traduction : Tu vas, Carlos, être gauche dans ta vie)
Cette gaucherie, Drummond s'en fit une fierté et une protection. Elle le dispensa de toute assurance et permit de maintenir la constante interrogation, intime autant que publique, individuelle aussi bien que que collective, dont sa poésie témoigne.
Au milieu du chemin j'avais une pierre... (ou bien, dans une autre traduction : Au milieu du chemin y avait une pierre). Ecrit, comme le précédent, au seuil du parcours poétique de Drummond, le très simple poème de dix vers qui débute ainsi - comme la Divine Comédie - connut au Brésil une extraordinaire fortune, valut à son auteur une notoriété immédiate et donna lieu, bien évidemment, à une foule de commentaires. En fait, ce poème, inoffensif d'apparence, donnait matière et symbole à la querelle du modernisme qui sévissait depuis le début des années 20. Le poète publia même, en 1967, une "biographie" de ce poème et son destin !
De tout ce qu'aura pu être mon pas capricieux
à travers la vie, restera, car le reste s'estompe
une pierre qu'il y avait au milieu du chemin.
La conclusion du très beau poème intitulé Legs et datant de 1951 (vingt ans après Au milieu du chemin) donne la mesure de la fidélité à une vocation poétique, irréductible à tout ce qui n'est pas elle-même : Mon nom est agitation, et il s'inscrit dans la pierre, écrivait-il dans Notre temps (1945), avant de continuer :
Voici le temps des divisions,
le temps des amputés.
Mains qui voyagent sans bras,
obscènes gestes épars.
Et plus loin :
... C'est le temps des béquilles.
Le temps des morts bavards
et des vieilles paralytiques, nostalgiques de ballet romantique,
mais c'est le temps encore de vivre et de raconter.
Certaines histoires ne sont pas perdues.
Des premiers poèmes à ceux de son dernier recueil, Aimer s'apprend en aimant, publié en 1985, Drummond a toujours manifesté une grande agilité et liberté verbales, une capacité à jouer des dissonances, de l'humour aussi bien que de la dramatisation.
Recherche de la poésie, qui appartient au même livre que Notre temps, exprime admirablement l'art du poète :
Pénètre sourdement dans le royaume des mots.
Là se trouvent les poèmes en attente d'être écrits.
Ils sont figés, mais il n'y a pas de désespoir,
il y a calme et fraicheur sur leur surface intacte.
Les voici seuls et muets, à l'état de dictionnaire.
Vis avec tes poèmes, avant de les écrire.
Reste patient, s'ils sont obscurs. Calme, s'ils te provoquent.
Attends que chacun se réalise et se consume
avec son pouvoir de parler
et son pouvoir de taire.
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