"Anthologie de la poésie italienne", La Pléiade, 1770 pages
22/02/2017
Cette édition a été établie sous la direction de Danielle Boillet. "Le langage dont l'homme se sert durant sa phase terrestre peut-il contenir une révélation, je veux dire peut-il dépasser les limites de l'expérience poétique ?" C'est à cette question posée par Ungaretti dans un texte fameux "Raison d'une poésie", que le lecteur de cette anthologie pourra tenter de répondre en effeuillant les fleurs éparses du bouquet.
Après tout, le lecteur n'est-il pas celui à même de saisir ce que le seul auteur ne saurait recueillir ? Songeons à la frustration de Stevenson qui enviait le lecteur découvrant pour la première fois L'Ile au trésor. Pour l'heure notre île est un trésor accumulé huit siècles durant : de François d'Assise en passant par la poésie sicilienne qui marqua le passage de la poésie populaire à la poésie savante avant que la Toscane n'assure le relais avec la fortune que l'on sait, l'ouvrage s'achève avec Andréa Zanzotto sur ce vers : "C'est tout, vous pouvez aller.", laissant libre le lecteur de poursuivre sa découverte muni de son viatique.
On ne peut que se réjouir de l'initiative des éditions Gallimard qui, après une première anthologie consacrée à la poésie allemande, a choisi de consacrer sa deuxième anthologie à la poésie italienne, genre où s'exprime le mieux son génie propre trop souvent négligé si ce n'est scandaleusement ignoré par la culture française. L'ouvrage étayé par une préface qui retrace à quatre mains l'histoire de la poésie italienne, et par une chronologie qui permettra au lecteur de se retrouver au milieu de la forêt-cathédrale de ce paysage poétique d'une incomparable richesse qu'animent les noms fameux de Dante, Pétrarque, l'Arioste, Le Tasse, Leopardi, Saba, Montale, pour ne citer que ceux-là, des textes jamais traduits d'auteurs confinés dans le silence d'un au-delà des Alpes : en tout 145 poètes qui retrouvent pour nous la parole et que présentent en fin de volume une notice accompagnant de repère bibliographiques qui devrait aider le lecteur curieux à s'y retrouver et à poursuivre la quête.
On pourrait à cet égard regretter certaines absences de poids ou la place trop modeste accordée à certains. Le choix d'un ouvrage bilingue permettra peut-être de susciter des vocations et d'assurer des réciprocités. La "note sur la présente édition" signale que "les traductions proposées sont originales pour les neuf dixièmes d'entre elles. Leurs auteurs sont des universitaires. Ce métier ne rend pas forcément poète, mais il peut aider à ne pas trahir trop la poésie - si traduire est tout d'abord comprendre et connaître...". Une pierre à ajouter à une polémique toujours active sur le rôle du traduire et de ses enjeux et la question d'Ungaretti n'est pas fortuite.
Gageons toutefois qu'une lecture stimulante de cette anthologie conduira le lecteur à d'autres rencontres et les éditeurs à poursuivre le travail. C'est à Ungaretti encore, ce "fou de poésie", qu'il appartient de conclure : "Seule la poésie - je l'ai appris dans les affres, je le sais - la poésie seule peut récupérer l'homme, lors même que chaque regard s'aperçoit, dans l'accumulation des malheurs, que la nature domine la raison et que l'homme est bien moins réglé par son œuvre qu'il n'est à la merci de l’Élément".
Marie-Josée Tramuta
Vous donner à lire ici un poème du Florentin Mario Luzi, extrait de Pour le baptême de nos fragments (prix Librex-Montale, 1986). Voici :
A giogio della metafora -
cosi si sovvengono
esse. Scioglile da quel giogio,
lasciale al loro nume
le cose che nomini,
è sciocco
confermarle
in quella servitu.
Superflua
è quella grammatica.
La metafora è già.
Sei tu la metafora.
Lo è l'uomo
e la sua maschera.
Lo è
il mondo
tutto
da quando è.
Coagula e disperde
l'alba questi pensieri -
e la vita si cerca dentro di sé...
Mario Luzi
Sous le joug de la métaphore -
ainsi nous secourent-
elles. Libère-les de ce joug,
laisse-les à leur génie
les choses que tu nommes,
il est sot
de les confirmer
dans cet esclavage.
Et superflue,
cette grammaire.
La métaphore existe déjà.
C'est toi la métaphore.
C'est l'homme
et son masque.
C'est
le monde
entier
depuis qu'il existe.
L'aube coagule
et disperse ces pensées -
et la vie cherche au-dedans d'elle-même...
Les commentaires sont fermés.