Kenji Miyazawa (1896-1933)
20/11/2014
Le plus grand conteur japonais
René de Ceccatty nous parle aujourd'hui du livre qui a permis aux lecteurs français de mieux connaître le plus grand des conteurs japonais, un équivalent d'Andersen : Le Diamant de Bouddha et autres contes, traduit par Hélène Morita, paru aux éditions Le Serpent à plumes :
Pluie de gemmes, lune orange, nuages de porcelaine, nuit de velours, colline de lumière, rosée de diamant, ciel couleur de pierres d'Amazone : la nature de Kenji Miyazawa, envoûtante, radieuse et parfois totalement angoissante, serait seulement métaphorique si son oeuvre n'était pas composée de contes. Car le conte intègre au récit la forme poétique, qui, dès lors, n'est plus forme, mais élément de l'intrigue. Si le soleil est un "miroir d'argent" ou si la neige qui recouvre le cratère d'un volcan est "le blanc miroir des dieux en deuil", le lecteur sait que les comparaisons ne sont pas avancées à la légère, mais feront partie intégrante de la narration.
Ingénieur agronome, fils de commerçants de la région d'Iwate, né en 1986, Kenji Miyazawa n'avait guère publié de son vivant. Il était convaincu que "les artistes professionnels doivent disparaître tout à fait. Tout un chacun doit donner libre cours à sa sensibilité artistique"(1). Il écrivit à 27 ans les quelques poèmes du Printemps et Asura, et rassembla une centaine de contes, réunis dans seize volumes après sa mort précoce (2). Il mourut d'une pleurésie mal soignée en 1933 : il avait trente-sept ans.
Kenji Miyazawa appartient donc à cette génération charnière de l'entre-deux guerres qui compte quelques écrivains de génie : parmi eux, Ryûnosuke Akutagawa (1892-1927), également un auteur de contes admirables, entre autres le célèbre Rashômon, qui devait avoir la destinée cinématographique que l'on sait. Le conte n'est pas un genre mineur au Japon. La littérature classique abonde en contes qui ne sont pas de simples légendes orales, mais qui donnèrent lieu à des modèles stylistiques, immense corpus déjà largement traduit : du Taketori monogatari (IXe siècle) et des Contes d'Ise (Xe siècle) aux Contes de la pluie et de lune (XVIIIe siècle), en passant par les merveilleuses Histoires qui sont maintenant du passé (XIIe siècle). C'est sur le fond de cette littérature foisonnante, diaprée, multiforme, très soigneusement écrite, qu'il faut lire Kenji Miyazawa. Non pas qu'il soit nécessaire de connaître toute l'histoire du conte japonais pour apprécier l'oeuvre de cet écrivain très singulier, mais il n'est pas mauvais de rappeler qu'elle s'inscrit dans une chaîne de très haute tenue littéraire.
Contrairement à Kunio Yanagida (1875-1962), qui, sans ses Contes de Tôno, fit un travail plus scientifique de "folkloriste", tentant d'approcher par une écriture tout à fait dépouillée la légèreté de la fantaisie orale, Kenji Miyazawa s'abandonne à son propre imaginaire, qui utilise en pleine liberté la tonalité du conte pour épanouir ses fantasmes. A l'instar d'Andersen, qui employait cette forme pour exprimer des angoisses qui lui étaient propres, Kenji Miyazawa ne craint pas les interpolations entre ses rêves obsessionnels, parfois mystiques, et des trames plus traditionnelles : enfants égarés dans la forêt, géants des montagnes, bébé tombé du ciel. Mais comme tous les grands conteurs, comme Karen Blixen ou Selma Lagerlöf, il s'approprie les mythes populaires, grâce à un style vibrant, inattendu, profondément poétique. Tout tourne autour du mystère de la perception. L'écrivain fait la part belle aux "êtres célestes", aux mutations de forme, d'espèce, de sensation, aux identités perdues ou aux violentes épiphanies. "Ces événements semblaient tous comme faits de l'épaisseur même du brouillard", écrit Kenji Miyazawa. Les objets et les animaux se parlent : les bois, les rochers, les oies et même les poteaux télégraphiques ou les signaux lumineux des voies ferrées. Seul un écrivain de cette envergure peut émouvoir avec deux poteaux qui s'aiment d'amour, aspirent à consumer ensemble "dans les flammes du brouillard bleu", et conjurent dans un même élan "les lointaines étoiles bleues", "Marie la très compatissante" et leur "bienfaiteur George Stephenson" (inventeur de la locomotive) de les réunir "au plus profond de la nuit transparente".
René de Ceccatty
(1) Traité de l'art paysan (1926), cité par George Gottlieb dans un siècle de romans japonais (éd. Philippe Picquier, 1995).
(2) Deux précédents recueils ont paru chez le même éditeur, traduits toujours par Hélène Morita, Traversée de la neige et Train de nuit dans la voie lactée.
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