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Vous connaissez, il va sans dire, Jacques Réda, qui a aussi publié in Diérèse opus 54 ses "Destins des étoiles" (p.44 à 47, numéro à présent épuisé). Poète de son état, il a dirigé la NRF [avant que Diérèse ne prenne son envol], et je me souviens de son passage à la tête de cette revue par le fait que jamais à mon souvenir autant de poètes, de qualité, n'ont trouvé là voix au chapitre... Jacques Réda est né à Lunéville en 1929, amoureux de jazz on le sait, mais pas que. A signaler : Jean-Michel Maulpoix lui a consacré un numéro de la collection "Poètes d'aujourd'hui", chez Seghers. Soit, mais sans plus tarder, voici :
Deux images bourguignonnes
à Christian Bobin
Montaubry
Quittant les Vaux sauvés du temps entre leurs bois
A mi-côte, quand on descend du village sévère
(Villeneuve-en-Montagne), on s'arrête : tu vois
Tout-à-coup resplendir en bas comme un éclat de verre
L'étang jeté dans l'herbe où, presque à chaque fois
Qu'on a passé le jour à circuler dans les collines,
On va prendre un long bain de calme et de fraîcheur
L'ombre des charmes tout autour est épaisse des lignes
Unissent l'eau profonde au sommeil d'un pêcheur.
Le soleil couchant prend tout droit dans la plus longue branche
Sur l'eau plus sombre alors un chemin de clarté.
Surgi de la masse des bois obscurs jusqu'à la frange
Ombreuse où nous buvons le vif aligoté,
S'achève en étincelle au fond de nos verres qui penchent.
* * *
Canal du Centre
D'un côté l'Atlantique et d'un autre la mer
D'Ulysse, par la Loire et la Saône. D'écluse
En écluse on a vu l'amer
Marinier qui halait son chargement (incluse
La marmaille sautant en tous sens sur le pont,
Et la femme attendant son tour à la bretelle) -
Thulé, Golconde, l'Hellespont,
Croisières ! - à Montceau, le front bas, on dételle
Pour un sommeil bercé par le marteau-pilon
Du Creusot. Au matin de nouveau l'eau plus verte
Que les rangs des vignes où l'on
Se faufile après Saint-Léger, mais plus inerte,
Et sans grappes, comme la vie. Encore un bief,
encore un verre pour grimper l'horizontale,
Car c'est là qu'est le vrai relief :
Dans un sens, ou dans l'autre, on monte. Et l'on s'installe
Dans l'effort monotone et lent. Ah, peupliers,
Vous êtes bien heureux de pousser la racine
Sur place. Nous, genoux pliés,
Quel arbre ambulant tors à la longue on dessine !
Mais repos désormais aux frères canalous
Qui redressaient l'échine et gueulaient à l'étape,
Accommodants comme des loups.
Maintenant c'est le luxe à moteur qui se tape
L'attente à l'écluse et s'ennuie, et fait des ronds
Dans l'eau par-dessus la rambarde, avec casquette
De capitaine, et potirons
De ces dames à l'air. Elle était moins coquette
La marine, jadis. Un dernier vrai chaland
Toise encore parfois ces matelots d'eau fade,
Comme les pêcheurs somnolant
Ou les vieux qui le soir arrosent leur salade.
Mais le canal aux berges qui s'éboulent, va
Dédoublant la beauté calme du paysage
Et le passant qui, dans l'image
Croit voir l'accompagner celui qui le rêva.
Jacques Réda
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