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Vous avez un joli passé de femme fatale... Admettons que j'ai trente ans de moins qu'aujourd'hui. Je vends des arcs-en-ciel, dans les pays où il ne pleut jamais. Je traverse le désert en calèche. Vous vous trouvez dans les parages. Nous partageons le contenu de deux ou trois gourdes. La soif commune est un pacte solide. Les nuits sont impardonnables : tous ces clous brillants, dans le ciel, qui nous rappellent nos péchés...
Il nous faut regagner la civilisation. Soudain, nous voici à Milan. Vous m'intriguez, je vous intrigue. Un inconnu nous a donné rendez-vous à Stockholm : peut-être vous proposera-t-il le mariage ? Vous êtes aussi une femme de tête, avec le droit de la perdre. Moi, je m'y connais en prestidigitation : de mon chapeau je tire des perdrix, des kangourous et des bouledogues qui bavent. Ce que vous dites est raisonnable et ardent. Ce que je dis, vise à vous désarçonner. Nous prenons un taxi, qui nous dépose au seuil d'un hôtel très 1900, à Stresa. Les Iles Borromées émergent de la brume : elles planent par-dessus le lac. Les hibiscus règnent par milliers : rouges au point d'en paraître obscènes. Le gérant m'autorise à les couper tous, moyennant finances. Nous occupons deux chambres ; les hibiscus envahissent la vôtre.
Nous n'avons pas encore échangé une seule étreinte. Vous me parlez d'une petite fille, dans une cité de province : rien que des gros murs contre lesquels l'océan vient se briser. Je vous raconte que mon grand-père maternel portait d'épaisses moustaches : très important, les moustaches en ce début de siècle vingtième. Je compare celles d'Aristide Briand, de Georges Clemenceau, de Lloyd George. S'y ajoutent celles de Rudyard Kipling et, pour la bonne mesure, la barbe redoutable de Lev Tolstoï. Je garde sur moi un monocle, qu'un roi de Norvège a offert à mon aïeul, avec qui il jouait au badminton, dans un collège anglais, du temps de George III ou de George IV. Ah ! Je m'embrouille dans mes monarques. L'amour, le sublime amour...
Alain Bosquet
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