Ecrire, lire et penser : pour Michel Deguy
18/08/2017
ÉCRIRE
Ce n'est pas un mystère. Penser c'est parler ; parler, c'est écrire. Il n'y a rien "derrière les mots" - sinon d'autres mots. Pas plus que derrière la tête, ou derrière la pensée, ou derrière le monde. Il n'y a rien derrière. Il y a quelque chose devant les mots, qu'on peut appeler le monde, par exemple. Le langage tient les choses à distance en se rapportant à elles. Il s'agit de penser les mots avec d'autres mots, différant le silence. Faire attention aux phrases dans les phrases, avec regard oblique sur les choses comme si elles surveillaient l'opération. Ce qu'avait compris, et n'aura pas cessé de dire, Ponge. Ce que chacun peut faire. Cogito, scribo, sum.
LIRE
Je lis comme on se douche ; pour me tremper, me désaltérer, abreuver, dé-sécher. Mais l'eau glisse, passe, et sèche. Je me retrouve sans mémoire, sans savoir, comme un vieil "innocent", honteux de nudité. Je ne "retiens" pas.
PENSER
La pensée est ce qui supporte les conditions les plus dures, les plus étrangères à la pensée : le néant. Les plus hostiles, les plus noires, les plus adverses à la pensée : nuit, néant, non-être. C'est le milieu de la pensée.
Michel Deguy
PS : Imaginer qu'il n'y a rien derrière les mots est justement une vue de l'esprit. Car tout ce qui se donne à lire directement est pauvre par essence. Derrière et devant les mots subsiste une zone indéchiffrée que les lecteurs recomposent de leur mieux à mesure. Le passé est porteur d'avenir et la modernité ne se définit que par rapport à lui. D'où la surprise de découvrir que ce que l'on voudrait neuf n'est que la mise à jour de ce que l'on porte en soi de plus enfoui, de moins concret. A savoir que le concret, autophage, phagocyte la pensée. La pensée est dès lors ce qui défragmente le concret, toutes affaires cessantes, pour lui donner une dimension qui est la sienne propre. DM
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