Antoine Perraud nous parle de Matthieu Messagier, de son livre "Les Transfigurations"
08/11/2016
C'est aujourd'hui Antoine Perraud qui nous parle de sa rencontre avec le poète et plasticien Matthieu Messagier :
"Il est né de l'autre côté du pont, il a bourlingué, il a publié d'ardentes choses depuis le Manifeste électrique aux paupières de jupes (éd. Le Soleil noir, 1971), une oeuvre collective qui commençait ainsi : "Un Soir d'Orage je fis mourir les morts." Et puis une maladie qui dévore les muscles l'a encloué. Alors lui, déjà "exilé au pays du verbiage", s'est retiré à fleur de Doubs, entre Besançon et Montbéliard, dans un moulin transformé en atelier par son père, feu le peintre Jean Messagier. C'est ici que sur des papiers à en-tête d'hôtels du monde entier, il rédige des poèmes.
C'est ici qu'est venu le filmer Nicola Sornaga pour Le Dernier des immobiles. C'est ici que nous avons visité Matthieu Messagier, 66 ans, qu'un corps voudrait réduire à rien, mais que son esprit fraternel et indocile pousse au tout pour le tout. Nous lui avons apporté quelques exemplaires édités par Le Castor astral (Les Transfigurations, 2004) d'un texte épique "nagé d'une seule douceur", sur lequel il plancha des années durant.
Il y est question de Mickey l'Ange, de pureté simiesque, des lèvres atomiques, de senteurs circonflexes, de grammaire d'absinthe, d'itinéraire insoumis, de pelage hiberné de plaisir, sans oublier le jaguar aux yeux de roues rimées. L'auteur y évoque l'extermination du style et forge des assertions qui le résument : les patients font dans le sublime, les euphémismes cahotaient comme des pélicans, on dirait que la lumière costume le silence.
En accord avec le poète, nous n'avons pas usé de guillemets, truc étrange, sorte de couverture anti-quelque chose, mort du dialogue, séparation incongrue (p.23). Seuls les caractères en italiques rendent à Messagier ce qui appartient à Messagier. Celui-ci se heurte au crime délicat dont nous serions tous les complices quotidiens : On a séparé l'homme de son langage. Les Transfigurations incorpore et mime ce forfait en flinguant tout plein chant en plein vol, brisant les phrases, concassant le lyrisme, hachant la musique dès que notre oreille la capte et s'arroge le droit de s'y habituer.
Grand lecteur de L'Equipe, le poète nous glisse, dans sa chambre aux multiples baies vitrées, vouloir écrire comme un footballeur qui aurait un style non efficace, qui ferait des mouvements ne servant à rien, qui déploierait une technique de l'inutilisé.
Pendant les cinq ans qu'il a travaillé à bâtir ce livre de ses mains, abandonnant et reprenant son texte, il s'est attaché, précise-t-il, à enterrer, abolir le discours d'hier pour que le corps du poème soit couvert de peaux mortes. Au bas de la page 35, une sorte de touillage extrême apparaît au lecteur, qui s'émeut : Messagier recopie et triture un prospectus des magasins Castorama. Son poème se met alors à broyer du vinyle, mitigeur, mousse polyuréthanne et autre compresseur. Notre étonnement l'étonne : l'hermétisme est chez le vendeur, jamais chez le poète ; j'ai simplement voulu restituer à un langage commun son mystère absolu, tout en lui déniant un droit poétique que les commerciaux créent inconsciemment...
Voilà donc un homme loin de tout et si proche de chacun, le dos tourné à la maladie qui l'assaille, murmurant au détour d'une conversation sérieusement enjouée : Le chaos est plus proche de demain qu'hier. Cet homme qui a naguère publié un Album en lent affirme qu'Internet n'a rien de foudroyant et que seule la poésie est rapide. Il a décoché en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire les derniers vers des Transfigurations, remontés de très profond en lui.
Les voici, nantis - n'est-ce pas la meilleure façon de prendre congé du poète ? - des sacro-saints guillemets : "Et à transformer ce que l'on est en ce que l'on écrit et à incinérer ce que l'on écrit en ce que l'on est..."
Antoine Perraud
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