"Fiction de l'absence", de Mallarmé-Melkonian, éditions d'écarts
10/10/2016
Gérard Malkassian nous parle aujourd'hui d'un livre pas comme les autres, avec pour auteurs : Mallarmé-Melkonian :
"Martin Melkonian présente un texte de Stéphane Mallarmé, paru à titre posthume en 1961, soixante-trois ans après sa mort : Pour un tombeau d'Anatole (introduction et notes de Jean-Pierre Richard, Seuil, 1961).
Le 8 octobre 1879, Anatole Mallarmé mourait des suites d'une maladie respiratoire, à l'âge de huit ans. Son père, Stéphane, témoin convulsé de sa maladie et de son affaiblissement inéluctable, tente de construire un monument littéraire au "petit fantôme" (p.48). Il ne s'agit plus, comme le Victor Hugo du livre IV des Contemplations, de fournir, dans une confrontation avec Dieu, un sens absolu à la perte insoutenable de l'enfant chérie (Léopoldine), mais de convertir le corps matériel désormais enseveli en un être spirituel, par la force de l'imagination poétique.
Fiction de l'absence (p.53) désigne à la fois le refus d'admettre une mort scandaleuse et sa transfiguration dans un récit rédempteur où se nouerait une alliance secrète entre le père et l'enfant défunt, un "hymen" (p.25), une "transfusion" (p.36), dont la mère serait écartée. Le projet, toutefois, tourne court. La parole bienfaisante se heurte à la nudité de "la chambre vide" (p.24 et 48). Mallarmé laisse une suite de fragments discontinus, de "mots-sanglots", écrit Melkonian, d'une voix haletante qui est envahie par la peine et le néant d'un deuil qui ne peut être accepté autrement que par l'épreuve de la vie.
Il nous invite cependant à observer comment le poète explore une "nouveauté lyrique" (p.12) radicale, en rupture avec sa quête intérieure. Mallarmé était obsédé par l'idéal du Livre recréant le monde par la seule force d'évocation des mots, établie sur la "transdestruction" (p.53) (destruction transformatrice) des choses matérielles en signes spirituels.
Il aura fallu l'expérience terrible de la perte d'un être cher pour qu'il réalise l'inanité de son projet. Martin Melkonian, en proposant une mise en page rénovée et allégée par rapport à la version manuscrite originale revisite donc ce livre posthume de Stéphane Mallarmé. Une réussite.
Gérard Malkassian
Jean-Claude Pirotte, encre sur Canson
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