"Chemins de traverse", de Louise Herlin, éd La Différence, 2002
14/08/2015
Le premier recueil de Louise Herlin remonte à 1967, chez Gallimard ; Chemins de traverse, publié en 2002, comprend neuf petits ensembles juxtaposés qui semblent de prime abord composer, par déambulation, une suite de paysages sur le motif, mer ou ville, cieux brouillés, paysages mouillés (mais par la place que tient l'air et l'atmosphère on est très loin du poids terrien de Baudelaire), souvent de bord de mer - une mer évoquant la proustienne côte normande entre air eau et sable.
Paysages subtils, mais parfois éclatants, où les références à la peinture sont multiples et où le peintre cherche la précision dans l'indécis des heures, des saisons. Le recueil alors semble se situer dans une poésie descriptive d'une réalité sollicitant la pensée et le langage.
Mais cela reste apparence. Dès après le premier carnet de croquis le regard change lentement comme l'heure tourne. Le poète passe insensiblement - sans qu'on ait vu changer le ton ni les couleurs - à l'installation de l'absence. Le troisième ensemble, sous-titré Chaque fois que s'absente, procède méthodiquement à l'effacement du paysage (c'est même le titre d'un de ses poèmes) par l'abolition progressive des regards le constituant comme tel - tandis qu'insensiblement les paysages deviennent ceux des villes, un Paris de pierre et de pluie :
Dans les débris d'un chantier démoli
Un homme cherche en marchant
Un homme marche penché
Sur des gravats, un fatras
De poutrelles fracassées,
De bennes herses plâtras
En fait, c'est comme ces papiers découpés où ce qui crée le dessin c'est le trou, le vide : ces paysages sont des constats d'absence. Celle du promeneur disparu, celle, aveuglante, du disparu dans le promeneur. Presque sans qu'on s'en soit aperçu, le livre glisse vers une poésie philosophique (au sens de recherche d'une sagesse) et la lutte contre l'angoisse qui creuse ne cessera plus de se déployer à travers le cheminement du recueil :
Où prendre appui ? les bras se dérobent
Amours, amitié, fidélité jurée
Restent l'épaule du vent
la pente du talus
l'herbe, l'herbe somnolente (...)
La forme est un vers absolument libre, mais naturellement mesuré par un sens du rythme dont Louise Herlin se sert en souplesse, s'y soumettant, y échappant, jouant à le suivre, à le perdre, à le brouiller. De cette justesse rythmique, le poème intitulé Intransigeance (et qui est aussi un art poétique) peut donner un aperçu :
On peut se taire pour ne heurter personne
(A chacun ses dieux, ses accommodements,
petits et gros mensonges. Egards dus aux rites
de chacun - santal, branches de buis)
On peut porter des lunettes noires, passer inaperçu
ne rien dire, passer pour un timide, effacé : les gens
savent gré aux inoffensifs, aux silencieux
Ou bien clamer dans le désert ! Passer
pour fol énergumène vociférant étranger
Se faire injurier, traîner dans la boue, enterrer vif
Mais se donner la chance infime, insigne,
d'être entendu peut-être
d'un seul, inconnu
Le recueil se termine par un retour au descriptif - jeux d'ombres et d'arbres où, malgré la sérénité acquise, le ton étrangement creux accuse un retrait : à ce moment, tout est vidé, et le néant brûle.
Odile Hunoult
Les commentaires sont fermés.