« Le plus réel est ce hasard, et ce feu », de Jean Paul Michel, éd. Flammarion, 1997
24/08/2017
André Velter nous parle aujourd'hui d'une de ses lectures, écoutons-le :
« … Une étoile t’accompagne qui
guérit cavalier moderne à l’instar des antiques
chevaucheurs et comme eux, droits, qu’une piété garde – toi
c’est l’idée d’un chant –
demi-cheval et demi-dieu tu
jettes tes traits – droit – dans
un ciel d’étoiles naïves… »
Vingt années de poèmes, 1976-1996 ; et ce n’est ni une anthologie ni un bilan, mais une œuvre nouvelle qui surgit des sédimentations du temps ; un livre scandé, composé idéalement avec éclats et silences ; une partition où s’ordonnent les échos et les traces autour d’un timbre inimitable. D’emblée, Jean-Paul Michel donne à entendre ce qui le distingue : cette pensée tenue au tranchant le plus vif du souffle, ce ton qui porte haut l’exigence et invoque à la fois le défi et la grâce.
Il y a là, livrée avec tous les traits d’une ascèse emportée, une aventure farouche, altière, quasi insensée, qui prétend ne céder ni sa visée, ni ses visions, ni ses abîmes, ni la hausse intangible de sa voix. Ecrire n’est pas ici un exercice mais une expérience qui engage la totalité de l’être, corps et âme voués à une éthique et à une esthétique. D’un même mouvement, la quête se fait sacrifice, et l’impossible, l’exact horizon assigné à la poésie depuis la « lumière philosophique » est venu battre « à la fenêtre » de Johann-Christian-Friedrich Hölderlin.
Jamais le parcours de Jean-Paul Michel ne se voulut aimable, accessible au moindre repos. Avant la mise au jour, il y eut la mise à l’épreuve qui revendiqua férocement sa pratique : « Du dépeçage comme de l’un des beaux-arts ». Il s’agissait de proscrire la mollesse, le contentement, la lente et sourde et indigne dégradation du destin et du verbe. Sans doute y avait-il, par-delà l’homonymie, nécessité à se saisir de l’épée de l’archange Michel pour commencer par pourfendre, commencer par visiter à la hache, et parfois aux ciseaux, les héritages et les legs, les traités de rhétorique et les chants.
« Il a cassé les langages faux,
dit-il, et il parle. »
Ainsi accède-t-il à sa propre parole, ainsi invente-t-il son alphabet et ses rythmes. « Rien – sinon le trait, la figure, la cadence et la coupe… » En quatre mots, Jean Paul Michel révèle le profil de ses poèmes, leur netteté d’épure, leur résonance de diamant sur la vitre ou d’acier sur le marbre. Non qu’il y ait à s’abuser sur la sauvegarde et son hypothétique poussière d’éternité : « L’art n’efface pas la perte. Il lui répond. » Et pour répondre, il doit s’armer de tous les noms porteurs de feu, d’excès ou de gloire.
Cette « idée d’un chant », maintenant qu’il l’a bâtie avec les alliés qu’il s’est contradictoirement choisis (Homère, Socrate, Dante, Balthasar Gracián, Hopkins, Breton, Bataille, Joyce, puis Klee, Hölderlin, Yeats…) et les amis qu’il célèbre (Pontévia, Khaïr-Eddine…), Jean Paul Michel la module toujours souverainement, toujours sans faiblesse, mais avec le renfort revendiqué de la lumière et de l’énigme. Le combat n’a pas cessé, il s’est ouvert d’autres précipices, d’autres royaumes.
« Besoin d’une douceur d’un
sacre – la joie en moi demande
cette chance à rien. Aller à la paix heureuse les
ravines raides franchies. La fureur est
sacrée mais saint est le sourire
des initiés… »
Non loin des mystiques irrécupérables, ceux de la folle sagesse, aux côtés des poètes voyants qui ont erré jusqu’à se perdre, Jean Paul Michel se veut « à l’instar d’Eros tentateur maître / des échanges et des / signes » un mortel jeté dans l’haleine des dieux, un alchimiste qui sait avec du hasard et du feu créer comme une aura au réel et ne pas craindre de placer sa voix au plus près de « l’inimitable musique de ce qui est. »
« Tu es toi ! Parle ! Les Dieux t’obéiront !
Rien du Monde ne résiste à ceux qui osent avec un pur courage
désintéressé
Davantage se peut !
Tout recommence, rien ne s'use, rien
ne commande à qui ose aller avec simplicité à l'inconnu hors
tout sens étriqué ! »
André Velter
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