"L'Enchantement simple", de Christian Bobin, éditions Lettres Vives
29/02/2016
Le livre de Christian Bobin vous prend au cœur tout de suite. Le vague à l'âme du romantisme continue de couler ici ses ondes. Mais c'est une musique de chambre aux ondes infiniment discrètes. Un amour entrevu, une petite fille qui passe, "la terre promise du silence". On y est. C'est incroyable de pouvoir écrire pour faire régner ce silence. On souffre tant de gens qui font du bruit avec les mots dont ils se parent. "Dieu, vous n'y pensez pas. C'est un mot plein de vent, déchiré, on voit le vide au travers". Pour vivre, la perspective peut-être d'un autre amour, et, en attendant, cette vie faite de menus riens, ce déroulement des jours : on voit le vide au travers. Un livre de prières. Toutefois - on n'a jamais si bien prié que depuis que Dieu est mort, - on prie au pied de ses souvenirs, pour son plaisir, pour soigner sa mélancolie et éviter d'en mourir.
Un ton sans phrases, d'autant plus poignant qu'il est sans remède. On ne se sert pas de la littérature pour se consoler. Inhérente à vous-même, elle est là comme un souffle, celui de votre vie qui va retomber dans le silence. Et pourtant "toujours cette manie de l'éternité, cette maladie de la vie éternelle qui passe, s'y livrer tout entier, demain on verra bien." On était parti bien portant, on se réveille malade, une plaie s'est rouverte. Il y a donc des livres qui sont comme l'air, qu'on ne respire pas impunément.
Au hasard des pages quelques rencontres : Dürer, Artaud, Maurice Scève, Piaf, Botticelli, Haydn, Rimbaud, pour venir au "dégoût de ceux qui accordent plus de poids au monde qu'à la destinée unique de leur âme, qui ignorent cette lutte entre les deux foudres inconciliables de l'âme et du monde, parce qu'il se rangent avant même de l'entamer, dans le camp adverse, celui qui se nourrit de leur propre destruction".
Le récit continue, journal, ou plutôt bout à bout de lettres non envoyées, mais l'essentiel vient d'être dit qui, à lui seul, motiverait le fait de "toucher du doigt la voûte céleste du silence, le ciel bas du langage, écrire". Du mot au regard, de l'absence à la présence, le mot n'est là que pour user le temps, que pour attendre ce moment béni où le visage de nouveau sera là. Que se referme sur nous le silence du bonheur. Ce court monologue est le contraire d'un roman qui recopie les aléas de l'existence. Il se tient en équilibre sans commencement, ni fin, comme un moment d'éternité qui abolit provisoirement tout écoulement vers une situation sans issue, l'amour, la mort.
La vie courante n'est pas négligeable : d'abord parce que je peux "vous" écrire. Et puis il y a parfois la découverte d'un livre, et aussi : "Quelque chose de l'automne entre dans l'âme avec la lumière. Le goût d'une vie claire et chantant, avec du lierre autour des fenêtres et la bonté dans les plis du vêtement." L'enchantement simple. Qui vaut peut-être tous nos amours, ces grands moments d'exaltation dont nous sortons rompus. L'Enchantement simple : un vrai traité du ravissement.
Pierre Bettencourt
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