« L’Age d’argent », décrit par Anastassia Tsvétaeva (1894-1993), opus 1
17/10/2015
« Souvenirs » (Vospominania) d’Anastassia Tsvétaeva, traduit du russe par Michèle Kahn, Actes Sud/Solin.
Sans doute la puissance poétique de Marina Tsvétaeva (1862-1941), à peine seconde à celle d’Anna Akhmatova, a-t-elle joué un bien mauvais tour à la visibilité de l’œuvre de la sœur cadette de la poétesse, Anastassia (1894-1993), dont les captivants Souvenirs ont paru en français près de 30 ans après leur publication en URSS – 1971 pour la livraison en revue, 1974 pour la reprise en volume.
Romancière appréciée par Maxime Gorki, grand nom suffisamment « dans la ligne » pour assurer une efficace protection sous la dictature stalinienne, Anastassia Tsvétaeva paie sans retard la disparition de l’écrivain le 18 juin 1936 : arrêtée en septembre 1937, tandis que ses manuscrits sont confisqués ou détruits, elle est déportée en Sibérie et devra attendre la mort de Staline pour recouvrer la liberté, quittant le goulag pour la simple relégation.
Finalement réhabilitée en 1959, elle entreprend alors, une fois revenue à Moscou, la rédaction de ses mémoires, encouragée par Boris Pasternak, qui fut son premier lecteur. « Ma chère Assia, bravo, bravo ! Je viens de recevoir et de lire la suite et je l’ai lue en pleurant. Tout cela est écrit dans la langue du cœur, tout cela respire la fièvre presque restaurée de cette époque ! (...) je ne m’attendais pas à une concision et à une force pareilles. (…) Votre verbe possède le pouvoir de s’incarner ; j’oublie que ces mères, ces nièces et ces petites filles n’existent plus, elles répètent leur sortie inéluctable, elles reviennent et elles repartent et on n’a pas assez de larmes pour pleurer leur disparition et leur fin ».
De fait, il s’agit moins pour Assia de retracer les étapes de son existence que de célébrer un temps singulier, qu’on a appelé « l’Age d’argent », cette parenthèse à l’orée du XXe siècle qui devait être balayée par les convulsions de 1917 et leurs suites, et plus encore la mémoire de sa sœur Marina (Moussia), à qui le projet est dédié et qui, dès l’exercice, donne le la : « Tout ceci a existé. Mes vers sont un journal intime. Ma poésie est une poésie de noms propres. Nous passerons tous. Dans cinquante ans nous serons tous sous terre. Il y aura de nouveaux visages sous un ciel éternel. Et j’ai envie de crier à tous ceux qui sont encore vivants : écrivez, écrivez davantage ! Fixez chaque instant, chaque geste, chaque soupir ! Pas seulement le geste, mais aussi la forme de la main qui l’a fait ; pas seulement le soupir mais aussi la découpe des lèvres d’où il s’est envolé, léger. »
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Jean-Philippe Catinchi
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