"Usines, Récits de jeunesse", de Jules Mougin, éd. Plein Chant, 1975
17/11/2015
Un auteur de Diérèse, qui nous parle ici de sa jeunesse :
Paris et la cour du Dragon
Une soeur à ma mère habitant la cour du Dragon nous avait trouvé là une pièce, de proportions moyennes, au troisième étage, n'ayant qu'une fenêtre. Les yeux plongeaient dans la cour qui connaissait alors une grande animation à cause du nombre des locataires, ensuite parce que cette cour communiquait à la fois avec la rue de Rennes et avec la rue du Dragon. On pouvait aller de l'une à l'autre sans passer par le boulevard Saint-Germain. Elle était, alors, en pleine prospérité... Ce qui frappait - d'abord - c'était le boucan, le bruit d'orage qui, du matin au soir - sauf le dimanche - emplissait cette cour (le bruit d'enfer vous suivait jusqu'aux cabinets), cette ancienne caserne, disait-on, visitée souvent par des étrangers...
Il y avait là le loueur de voitures à bras, le fumiste, le chaudronnier, le marchand de vélos et de motos. Toutes les remises étaient occupées. Elles servaient de garages, de dépotoirs. Dans l'une d'elles, un magasin d'alimentation déversait ses caisses vides, ses boîtes de conserve, ses culs de bouteilles et la paille de ses emballages.
Nous étions les hôtes d'une cour sale, puante, tintamaresque, juste à deux pas du boulevard Saint-Germain. Toute la fine fleur du fameux faubourg ignorait cette cour et ceux qu'elle abritait.
Sous l'immense porche donnant sur la rue de Rennes, trônaient dès la venue du soir, six à huit poubelles majestueuses. On pouvait les voir le lendemain à l'aube remplies jusqu'au bord et, aussitôt qu'elles étaient vidées, charrettes et marteaux, chaudrons de cuivre et tuyaux de poêle, tout ça se mettait en branle. On rivait, on martelait. Les roues des voitures sautaient sur le pavé de la cour et le motoriste essayait ses machines.
On déménageait souvent, on réaménageait pareil. Des figures nouvelles, un va-et-vient continuel. Des fois, le pavé servait de lieu de rencontre à de petits pugilats sans importance. L'art y venait aussi. Il y trouvait un côté pittoresque loin d'être dédaigné par les peintres. Le touriste photographiait les deux tours. Tout le sixième arrondissement y venait perdre ses chats...
Jules Mougin
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