Petit éloge de la douceur, de Stéphane Audeguy, Gallimard, « Folio », 144 pages, 2 €
23/01/2016
Le 4 octobre 2007 a paru cet éloge dont l’époque a grand besoin, lisez plutôt :
Stéphane Audeguy, auteur de deux remarquables romans (Théorie des nuages et Fils unique, Gallimard 2005 et 2006), fait observer une chose fondatrice : « La douceur n’est pas un pouvoir » (mais elle peut être détournée et devenir une stratégie, un instrument, un subterfuge) ; il ajoute : « Si jamais la douceur parvenait un jour à occuper une situation dominante dans notre société, il faudrait aussi l’abandonner comme on quitte une position, comme on déserte. » En conséquence si « la douceur suppose toujours une affirmation, une joie », elle « commande une sorte de guérilla, avec ses caches d’armes, ses décrochages, ses pièges et ses alliances ».
Car la douceur, quoi qu’en disent ses détracteurs – qui parlent fort, grossièrement, et détestent par-dessus tout les nuances et la mesure… - n’est pas l’équivalent de la mièvrerie. Doux ne veut pas dire doucereux. Malgré ce que suggèrent les malencontreuses sucreries qui ornent la couverture du livre.
Puisqu’elle est, en même temps qu’un art de vivre, une affirmation, un choix éthique aussi bien qu’esthétique, la douceur, la vraie, est toujours obstinée et véhémente. Militante. Car les doux sont de dangereux conjurés, des activistes sans repos. Ils sont d’ailleurs combattus et moqués comme tels. La référence aux Béatitudes du Christ étant, en la matière, une circonstance aggravante…
Après ces préceptes qui introduisent à la « vie douce » comme le doux saint François de Sales introduisait à la « vie dévote », Audeguy parle de « l’assujettissement ». Dans un monde de concurrence acharnée et de lutte à mort pour la prééminence, l’injonction essentielle est la suivante : « A chaque instant soyez-vous-même. »
A l’individu qui va devenir quelqu’un, il est fortement recommandé de prendre la tête d’une « sorte de petite dictature de la République du Moi, une et indivisible, étrangère à toute idée de fraternité, d’égalité et de liberté ». Celui qui déteste la douceur est également dur pour lui-même…
Mais cette disposition d’esprit et d’âme est parfois onéreuse. Elle conduit même, en certaines circonstances (qu’il ne faudrait pas banaliser) au martyre… « S’il est une douceur affreuse, c’est celle des victimes », écrit l’auteur. Il explique : « Comme si la dernière forme de protestation de la victime est de renoncer elle-même à toute violence, y compris à celle qui est nécessaire à la survie de tout être… »
Mais avant d’en arriver à ces extrémités, la douceur offre un champ varié et inépuisable de plaisirs accessibles, et même de jouissances. Audeguy, dans l’ordre alphabétique, propose ainsi plusieurs applications, modes et régimes de ces agréments. En architecture (Gaudi et Jean Nouvel) ; en musique, le jazz surtout ; dans la haute couture (Issey Miyake) ; et même au football, en certains instants de grâce (Diego Maradona, marquant un but, « avec une facilité presque étrange, alentie » le 22 juin 1986, contre l’Angleterre… Notons enfin d’intéressants développements sur l’érotisme.
Il va sans dire que Stéphane Audeguy n’épuise pas son sujet. Emporté, il divague parfois un peu loin… mais toujours en douceur. Et s’il cite Marc-Aurèle – « la douceur est invincible » -, c’est à la rubrique « Optimisme »…
Patrick Kéchichian
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