Paul-François Dubois écrit à Chateaubriand
16/11/2016
Paul-François Dubois (1793-1814), professeur de lettres d’opinion libérale et futur député, fonda en 1824 avec Pierre Leroux le journal Le Globe, publication d’abord purement littéraire et philosophique avant de devenir politique après la chute du ministère Villèle en janvier 1828. Cette lettre et la réponse de Chateaubriand sont inédites.
Tout d’abord, la lettre de Paul-François Dubois :
« Je pars malade, bien malade ; on me dit que j’ai besoin de l’air de mon pays [l’auteur a barré : et vais chercher quelque vie dans notre Bretagne]… J’emporte vos ouvrages pour charmer ma solitude. Je les relirai aux lieux où je les ai lus pour la première fois… car pourquoi ne vous le dirai-je pas, ce sont vos livres qui ont inquiété pour la première fois ma pensée, et animé mon imagination. Sans cette éducation toute soldatesque, toute servile de l’Empire, c’est le Génie du christianisme qui fut le véritable maître des âmes, & pour moi, dans notre bonne et religieuse province, je lui ai dû une piété qui n’était pas une manœuvre. Maintenant mes croyances ne sont plus : mais leur poésie me reste… J’ai bien souffert de ma négligence à parler de vos œuvres… Le ciel de notre pays… les grèves de notre océan, me rendront peut-être quelque force. Alors j’écrirais là ce que j’aurai senti et pensé. Cela n’est de rien pour les lecteurs du Globe, qui n’en sont pas à apprendre à vous admirer, mais c’est pour moi un besoin de cœur… Ce soir à six heures je courrai sur la route de Bretagne : Combourg est dans ma pensée, et bien certainement j’y ferai un pèlerinage… »
A quoi répond Chateaubriand, dans une lettre étonnante dont voici reproduite la première page, évoquant sa jeunesse à Combourg, qui a inspiré les plus admirables pages des Mémoires d’Outre-tombe, voyez :
Paris ce 30 mai 1827
J’ai souvent Monsieur cru mourir, et je vis, ce qui n’est pas grand’chose. Il en sera de même pour vous, Monsieur. Je suis chrétien, Monsieur, et très chrétien et je vous convertirai ; nous nous entendrons. Mes mémoires diront après moi ce que furent (car ils sont abattus) ces bois de Combourg que vous allez chercher. Vous verrez ce vieux château qui n’est pas inintéressant pour moi, non parce qu’il est gothique, mais parce qu’il est rempli des impressions de mon enfance et des souvenirs de ma jeunesse.
Pensez quelquefois à moi sur les grèves que j’ai tant parcourues, mais ne vous occupez de mes ouvrages qu’autant qu’ils ne fatigueront pas votre santé. Vous me survivrez de quelque quarantaine d’années. Je vous recommande alors ma mémoire comme je me confie aujourd’hui à votre amitié.
Croyez, Monsieur, aux sentimens d’affection et de dévouement de votre sincère compatriote,
François-René de Chateaubriand
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