"Le parcours d'une vendangeuse" opus 1
04/09/2017
Pierre Mironer prend aujourd'hui mon relais, après les 304 pages de Diérèse 71 vérifiées ce dimanche (quand on aime, on ne compte pas !). Mes excuses à ceux qui verront leur texte publié à la prochaine livraison, prévue pour février. Amitiés partagées, Daniel Martinez
Parcours d’une vendangeuse
Je l’ai connue grande, hystérique, délurée, libre, généreuse, avec de longs cheveux raides et dorés et de grands yeux bleus semblables aux dessins gauches qu’elle ratait au stylo-bille bleu en écoutant les cours. Elle s’offrit sans vraie malice à tous les garçons, puis à tous les hommes, même sans instruction, dont elle avait envie, en s’attachant toujours franchement tout en restant celle de personne, sinon pour des relations plus durables, qui n’empêchaient rien, et qui n’avaient l’air de rien, sinon d’un couple baudelairien dans un film de Grémillon.
Je l’ai connue souriante, toujours rieuse, moqueuse, parfois capable d’arrogance et d’esprit de révolte, et ses rires face aux remontrances des adultes ou des enseignants étaient un réel ravissement, des puits de vérité où venaient se perdre piteusement les mots, – des sources ou des chutes d’eau fraîche et vierge, incitant à mettre un instant tout le sérieux du monde de côté pour admettre qu’une aile pouvait triompher des fenêtres coulissantes, qu’une queue – lézard ou rat – pouvait passer sous une porte, entre deux plinthes.
Je l’ai connue accueillante, laissant franchir son seuil à des agglutinés de sa famille d’amis qu’elle voyait pour la première fois, et même à des imbéciles à lunettes pour lesquels elle aurait pu devenir canne blanche occasionnelle. Je l’ai connue enjouée, indifférente à l’armada administrative et policière, – posée, caressante, rassurante, et je l’ai connue jusqu’à très tard dans une adolescence prolongée.
Deux ou trois choses entre elle et moi nous ont épargné les problèmes de la pilule du lendemain ; d’abord le "Préfon"*, qu’elle se mit à aduler à son époque montmartroise, puis ce que je voulais prendre pour de l’amitié, sans encore réaliser ce que l’amitié signifie pour elle, amitié qui me suffisait en quelque sorte, elle blonde comme moi qui suis fils unique, (et m’empêchait de jalouser) sans éveiller un réel désir de son corps allant vers le superbe que j’ai toujours cru voir nu comme celui d’Ondine à sa seule pensée sans m’émouvoir plus que cela.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
* Le vin "Préfontaine".
Pierre Mironer
Les commentaires sont fermés.