"Le Plâtrier siffleur" de Christian Bobin, éditions Poesis, 5 euros
27/03/2018
En février 2018, a paru aux éditions Poesis une plaquette de quinze pages de Christian Bobin intitulée "Le Plâtrier siffleur". Ce sont des propos du poète et romancier, recueillis par Françoise Lemarchand, réflexions datant de février 2012. Elles me semblent en parfaite coïncidence avec ce que fut la vie même de Thierry Metz, voilà pourquoi je vous en parle ce soir. Écoutez plutôt :
"Le plâtrier, la femme à son ménage ou le poète à son poème, chacun construisant quelque chose de très réel, de très éphémère, ne sont pas les maîtres de ce qu'ils voient. Dans cette lutte incessante que constitue le monde dit moderne, les contemplatifs sont les guerriers les plus résistants. Ce sont peut-être eux qui pourront nous tirer d'affaire. Il faut juste que chacun se remette à faire ce qu'il a à faire, de la façon la plus simple. Les poèmes du boulanger, ce sont ses pains."
Si l'auteur constate par ailleurs que notre monde "est carnassier", c'est pour se demander comment s'en défendre utilement sans perdre pour autant ses repères. Le dilemme est là : peut-on s'en sortir en étant soi-même, hors du tourbillon infernal ? Car rien de plus fragile, au demeurant, que le poème, conçu d'abord comme une démarche : "Habiter poétiquement le monde ou habiter humainement le monde, au fond, c'est la même chose."*
Je me souviens d'une lecture de Christian à la librairie José Corti, il y a bien longtemps maintenant, nous étions pour certains assis à même le plancher de la mezzanine et l'écoutions, sans mot dire. Après coup, un critique lui reprocha son angélisme, son côté rêveur en quelque sorte. Comme si le rêve (qui a tant nourri les surréalistes et pas seulement) n'apportait rien au réel. Ce qui est faux, assurément. Bobin ne s'en défendit pas.
De fait, notre monde nous désorganise, jusque dans le plus concret. Et je pense que de cette privation naît l'écriture, celle qui transperce tout, depuis les codes sociétaux jusques aux censures implicites "modernes". Au fond, ce siècle du tout numérique n'arrivera pas à gommer les derniers résistants, comme le dit Christian, il est heureux qu'ils soient poètes avant tout, dans leur âme même.
Pour autant, cette désorganisation n'est pas fatale, elle le devient quand elle est acceptée comme un mal "nécessaire", un mal d'époque. Être soi est aussi difficile que de bien voir j'allais dire, c'est toute une éducation. Une vie entière ne suffit pas pour y arriver tout à fait (à condition déjà de le vouloir). Je ne parle pas ici du monde politique et de son piteux spectacle, ni de tout le vulgaire où se débat notre condition d'homme, passée trop souvent à perdre son temps en croyant le gagner, misère... Je parle de la vraie vie, désirante, de la vie créative qui nous est propre, dans sa quête infinie de la Beauté, toujours fuyante, souvent maltraitée mais tout à fait essentielle : autant que l'acte de respirer. La vraie poésie est bien dans le respir, dans cet air que les poumons recueillent à loisir. Merci Christian pour tes lumières, de nous réapprendre à respirer à notre rythme. DM
* ce sera l'exergue de Diérèse 73.
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