Quelques pages du journal de Sylvie Huguet
25/01/2019
Bonjour à toutes et à tous, vous savez à présent que le prix du carburant ne m'intéresse que de loin. Mais bien plutôt ceux qui n'ont du réel qu'une approche mesurée, distanciée. Pour aller vite, je n'embraye pas sur la déculturation très actuelle où l'usage de la force (de tous côtés qu'elle émane) prendrait le pas sur l'intelligence. Les sens uniques en ville ont de longue date suscité mon mécontentement, mais cependant pas mon ire.
Pour accompagner cette journée, le journal d'une auteure, Sylvie Huguet, paru à l'hiver 2009, sept jours du premier mois de cette année-là, in Diérèse. Amitiés partagées, Daniel Martinez
LE BLEU DES CHEVAUX
11 janvier
Ce n’est pas tout à fait par hasard si je suis entré dans cette galerie. Je passe devant presque tous les jours, et je n’en avais jamais poussé la porte, mais cette fois l’affiche m’a attiré, qui montrait deux chevaux endormis sous une tombée de rayons multicolores. Je ne connaissais même pas le nom du peintre, mais la paix qui émanait de cette image m’a parue idéale pour me nettoyer l’esprit et me détendre les nerfs. J’en avais besoin, comme tous les vendredis soirs, à l’issue de ces deux heures de cours qui, situées de trois à cinq, épuisent mon énergie sans profit pour personne, et surtout pas pour des élèves englués dans l’attente de leur futur week-end. A cette heure, et quoi que je leur propose, ils ne m’offrent aucune prise, et toutes mes sollicitations s’enlisent dans leur apathie bruyante et narquoise. Aujourd’hui, saisi par le vertige de l’absurde, j’ai parfois cru vaciller au bord de l’estrade. Alors oui, j’avais vraiment besoin de cette exposition.
J’y suis resté plus longtemps que je n’aurais dû. On y trouve des aquarelles aux couleurs franches, du bleu, du vert, du jaune, du rouge, qui leur confèrent l’éclat d’un monde neuf, lavé par une averse récente. Les sujets, répétitifs, sont surtout animaliers ; tout un peuple de chevreuils, de gazelles, et plus encore de chevaux, habite ces tableaux dont le rapprochement exhale une fraîcheur de paradis perdu, antérieur à la présence humaine. Sans doute est-ce cela qui m’a séduit. J’y ai retrouvé mes fantasmes de terres intactes, lavées de ce fourmillement urbain qui m’oppresse tant. J’aurais voulu m’attarder sur chaque peinture, sur ces paysages géométriques qui servent d’écrins aux bêtes tranquilles, perdues dans la contemplation de leur rêve intérieur. Il me semblait que l’une d’elles éveillait en moi des résonances singulières, mais j’étais incapable de l’identifier.
Mon portable a sonné, Monique s’inquiétait de mon retard. Depuis qu’elle est en congé, elle est devenue plus anxieuse, et sans doute aussi plus possessive. Rien là que de normal. La grossesse réveille en elle l’instinct du nid, un besoin d’intimité tiède qui rend ma présence nécessaire. J’ai regretté de l’avoir inquiétée pour rien et suis rentré aussitôt.
Sylvie Huguet
(à suivre)
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