Christian Arthaud, "Encre", dessins de Vivien Isnard, éditions Cadex, septembre 1989
08/09/2019
Christian Arthaud disait avoir écrit ses poèmes "sur le paravent chinois de Raymond Roussel, comme il se doit." Écoutez cette voix, celle de celui qui tente de définir ainsi le geste poétique : "Contraction d'un chant (depuis toujours disparu) qui raconte comment saisir l'instant sans le trahir, c'est-à-dire en le laissant et en ne le laissant pas dans le bâton d'encre, le poème, par ses phrases coupées, devance le manque et s'efface aussitôt."
Le vent appliqué à chasser les nuages,
Les riverains intrigués par les cris des mouettes.
Qu'un seul aspect de la vie rurale,
Qu'un seul coup d’œil sur une sueur éternelle,
Et l'on s'étonne, et l'on se parle
Encore le soir devant la glace.
Les sacs des fermiers sont pleins ou sont vides.
La peur du poète est grande de ne plus s'émouvoir.
Je ne cesse d'oublier les paroles,
Je ne cesse d'oublier les démonstrations hâtives.
Mais si je parle et si je m'empresse d'expliquer,
C'est pour ne pas oublier
Combien ce qui sort de ma bouche doit à la nuit.
C'est pour ne pas oublier l'oubli de la nuit
Que j'aime alors parler et entendre parler
Sans savoir et sans vouloir.
Dans l'encensoir, la cendre froide.
La couverture en boule sur le lit défait.
Poussières sur les tables et les coffres.
D'autres mots pour dire une absence ?
Je laisse le vin me guérir des larmes.
Je vois à ma fenêtre les branches de prunier.
Je reste avec une ombre qui n'est pas la mienne.
D'autres mots pour dire une présence ?
La barque s'éloigne doucement,
Les couleurs de sa robe s'effacent,
Les eaux frappent le rocher,
Les branches du saule plongent,
Je suis tout à cet instant
Qui ne se dissipe pas.
Il me faut flâner dix jours encore
Avant de noircir une feuille.
Christian Arthaud
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