"Autres fragments de langue", de Marc Le Bot, éd. Brandes, 1987
03/12/2019
Dieu, s'il est Un, est sans nom. Son propre nom est un nom commun. Les dieux, eux, étant en nombre infini, ont des noms multiples. La langue est l'assemblée des dieux.
On écrit pour oublier le dieu qui n'écrivit pas le Livre, pour oublier l'absence du dieu, l'oublier dans les livres.
Le langage de l'art interrompt le propre cours de son sens : il l'interrompt par artifices. L'art met la mort du sens en scène. Il démontre que le hors-temps est démontré par la mort même. La mort ouvre la porte au hors-temps. L'art la précède.
On attend, on désire le surgissement des accouplements monstrueux des mots dans la langue. Aussitôt, on leur trouve un sens. On rétablit le sens sur les effets inouïs de la langue parce qu'on craint le dévoiement dans le hors-sens. Le hors-sens est le monstrueux, dont on a peur. Le monstre est l'imprévisible insensé qui surgit au détour du cours de la langue. Les langues sont ces labyrinthes : à l'un ou l'autre de leurs détours surgit un innommable, un étranger au sens.
Le blanc du livre glace le sang, mais le noir d'encre surmonte le néant blanc.
Écrire un texte sans nom, anonyme. Et que ce texte parle du corps. Qu'on dise : il y a bien un corps ici, quel est-il ?
Écrire affronte un monstre qui est sa propre altérité et l'altérité de tout autre. Ça fait plaie. Écrire serait panser les plaies ouvertes par l'écriture.
Être la voix qui, dans les pires moments de silence, n'a jamais cessé de parler.
Marc Le Bot
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