Les fidèles de Diérèse se souviennent des interventions régulières de Bernard Noël dans la revue. J'ai choisi pour vous aujourd'hui une lettre de l'auteur de La Face de silence adressée au regretté Jeanpyer Poëls, sur un papier à en-tête de l'université de Sousse, en Tunisie, à l'occasion d'un colloque ayant pour thème "L'émotion poétique" (ce, dans la ville même de mes études secondaires, où j'avais mes habitudes : cette avenue descendue maintes et maintes fois, le long des fortifications, qui menait au port, à la vie maritime, au miel de la saison blonde et musquée, au grand air, à la vastitude). Voici:
25 mai 2011
Relu ta Fauvette dans sa forme imprimée, cher Jeanpyer, et toujours à la recherche du mot qui saisirait la qualité que je ressens. Il y a toujours des dents serrées dans tes vers, ou derrière, mais qui mâchonnent le rythme pour bientôt le développer, l'affirmer. J'aime cette contradiction entre des syllabes libres, libres et une précision qui les contraint, les précipite, souvent les choque. Résultat : un élan qui, retenu dans le texte, fuse dans le regard du lecteur et l'oblige à scander l'effort d'articuler, de comprendre. La langue n'a jamais été plus réelle, plus matérielle, toute secouée de brusques ruptures et d'allitérations. Ce vers : "ensorcelant le dessous du silence" m'a servi un moment de clé d'écoute des "mots de la conjugaison", mais ce choix a été contesté tout de suite par "sous les toits" avec son rythme bref dénonçant "les appeaux". Bref, je commence et recommence mais suis, à la fin, chassé des explications vers l'ouverture que, sans cesse, tu déchires en moi pour et par l'abandon au mouvement inventif.
Merci, je t'embrasse
Bernard
Les commentaires sont fermés.