"Le regard trahi" de Jacques Laurent (1919-2000), éd. Arléa, 8 février 1988
22/02/2020
Dans le climat d'obscurantisme affiché où nous vivons de gré ou de force, depuis quelque trois années maintenant, une relecture rafraîchissante hier au soir, "à la bougie", loin, si loin des visées extrémistes des deux rives, qui font actuellement bon ménage (!) :
celle du "Regard trahi" de Jacques Laurent, ayant émargé à l'Académie française, dans une langue j'allais dire "virtuose", au regard de ce que l'on produit ces temps-ci à l'encan, version "restauration rapide"... libertine il va sans dire. Dans l'esprit qui fut celui de l'un de mes premiers livres, "Le Bestiaire de Vénus", vous en trouverez trace sur Wikipédia.
Mais trêve de digressions, voici :
Devenus l'un et l'autre indifférents, et peut-être même hostiles, à la société, Cypriano et Evelyn laissèrent fréquemment à Marie-Luisa le soin d'être leur ambassadrice dans les salons vénitiens. Ils remarquèrent, au bout de quelque temps, qu'elle ne restait pas insensible aux futilités qui agitaient la société où elle fréquentait. Par des crépuscules d'été où l'île baignait dans un or que divisait à peine, comme un fil de cristal, l'horizon vénitien, elle parlait de la dernière chanson en vogue, de parfums, de livres nouveaux et des changements de la mode. Celle de Paris gagnait Venise ; les petits réticules d'antan devenaient des musettes crânement portées en bandoulière ; la jupe courte et ballonnée s'était imposée, escortée de guêtres et de tout petits chapeaux à antennes.
- "C'est la mode "cigale" ! soupirait rêveusement Marie-Lisa.
Au début, mari et amant s'étaient également irrités de ce qu'ils considéraient comme une manière de trahison. Puis Evelyn s'était attendri. Il était le plus enfant, il fut le plus indulgent. Peut-être aussi, parce qu'il était le plus enfant, était-il plus disposé à comprendre les caprices. Il convainquit Cypriano qu'ils n'étaient que deux ours égoïstes, oublieux de ce qu'était une femme. Tous deux trouvèrent un prétexte pour passer à Venise quarante-huit heures pendant lesquelles ils chercheraient les disques, les livres, les parfums, les colifichets qui, à leur retour, donneraient à Marie-Lisa les émotions d'une surprise ravissante."
Jacques Laurent
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