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La vérité, la beauté, le réel, l'imaginaire : c'est comme l'histoire du plat à barbe de Don Quichotte, telle que la raconte Milan Kundera :
Don Quichotte dérobe à un barbier son plat à barbe en cuivre qu'il prend pour un casque. Plus tard, par hasard, le barbier arrive dans la taverne où don Quichotte se trouve en compagnie ; il voit son plat à barbe et veut le reprendre. Mais don Quichotte, fier, refuse de tenir le casque pour un plat à barbe. Du coup un objet apparemment si simple devient question. Comment prouver d'ailleurs qu'un plat à barbe posé sur une tête n'est pas un casque ? L'espiègle compagnie, amusée, trouve le seul moyen objectif de démontrer la vérité : le vote secret. Tous les gens présents y participent et le résultat est sans équivoque : l'objet est reconnu comme casque.
Diane M.
Ce que Kundera qualifie d'"admirable blague ontologique" nous enseigne plusieurs choses : que l'apparence n'est pas l'essence, bien sûr, mais surtout que le regard qu'on porte sur une chose lui donne son véritable prix, c'est-à-dire peut rendre précieux un objet banal, que la nomination d'un objet lui confère déjà du réel, que la vérité n'est qu'un accident du langage autant que du regard, que la beauté n'est qu'un avatar du réel tel que l'invente un sujet. Parce que la beauté est comme - le ciel, le secret d'une grotte, la transparence de l'eau, le désir que fait naître la peau... Le beau serait-il donc ce qui retient le temps dans la forme, contre la pourriture, contre la corruption ? Quand Kundera encore écrit que "la laideur s'empare du monde", il ne pointe en fait qu'une réalité sociologique, un effet - dont la cause demeure le désir de beauté que manifeste en creux une telle phrase. La beauté est-elle donc nécessaire, est-elle une résistance à la putréfaction, l'expression d'une sorte de chœur au fond de nous, au fond de la langue, une résurgence face à la violence illimitée du monde et à la dégradation de plus en plus grande de nos destins misérables ? Ou est-elle une immanence à découvrir, à interroger - puisqu'elle ne nous appartient pas, jamais ? Ou bien encore, n'existe-t-elle que dans sa célébration (la poésie, l'art, la musique) ?
Alain Duault
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