241158
En descendant le boulevard Saint-Michel, lu, tout près d'affiches encollées à la va-vite : "L'iniquité au pouvoir, c'est la décapitation du savoir". Comment faire fi de l'actualité directe, où la notion de savoir-vivre s'effacerait, face à un irrationnel figé qui voudrait à toute force prendre le pas sur le rationnel au lieu de se donner les moyens de composer avec lui ?
... Nous sommes de facto entrés dans une ère tout aussi inquiétante, anxiogène que procédurière à l'excès, où l'échange même (avec l'autre) tend peu ou prou à devenir conflictuel dès qu'il touche à certains domaines "réservés", où la liberté de chacun poserait question a priori. D'où ces réactions en chaîne, à partir desquelles la force animale voudrait se défier de ce que Rousseau appelait "le contrat social" ; ou encore récuserait cette phrase admirable de Baudelaire : "Ce qui est créé par l'esprit est plus vivant que la matière." La matérialité excessive de notre vécu social semble par effet retour provoquer ces débordements et distorsions auxquels nous assistons, impuissants, voire médusés, de nos jours plus que jamais. Face à cela, existe-t-il, néanmoins, un pouvoir équitable ? Poser la question c'est déjà y répondre.
Place Marcelin Berthelot, suis entré au Collège de France pour y suivre une conférence donnée par la fille de François Cheng, avec pour sujet : "La Chine est-elle (encore) une civilisation ?". Je reprocherais à Anne de ne pas avoir défini d'abord ce qu'est au juste une civilisation : pour discuter plus à propos de ce territoire immense que les dirigeants actuels de la Chine voudraient pouvoir qualifier d'État-nation. Or les valeurs mêmes que porte la civilisation, ici vieille de cinq mille ans (ou plus) peuvent-elles se fondre avec le politique, avec les régimes successifs qu'a connu l'Empire du Milieu. La démonstration d'Anne Cheng tendrait à prouver le contraire. Et, fort justement, que le savoir politique ne peut-être que l'une des composantes et non l'essentielle pour donner un fondement cohérent à la notion de civilisation, faisceau convergeant contribuant à un mieux-être collectif et individuel, qu'il nous appartient de conceptualiser pour mieux l'accompagner. Cette formulation claire apporte une réponse directe et pertinente à la question qu'elle se/nous pose, à juste raison.
Si déclin d'une civilisation il y a, il pourrait se loger dans une mise sous le boisseau du savoir, au seul profit du politique, dont les vérités sont si fluctuantes qu'elles tentent de canaliser une pensée qui ne servirait pas, directement ou indirectement, sa cause. Reprenons Nietzsche, cette phrase entre toutes : "Nous avons l'art afin de ne pas périr de la vérité." Beaucoup de nos nouveaux illuminés feraient bien de s'en inspirer, à défaut de la comprendre tout à fait.
Amitiés partagées, Daniel Martinez
Les commentaires sont fermés.