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L'EMPREINTE
Le fleuve en crue, la neige, l'escalier s'enfonçant dans l'eau noire... Souvenir au-delà mon souvenir ! Il pouvait être minuit. Une histoire de ce temps-là m'avait jeté, cœur vide, par les rues inconnues d'une ville rhénane. Quelque sotte idée me tenait immobile, accoudé dans l'ombre. Quand sur la première marche une femme se dressa. Et je la vis descendre à pas lents l'escalier qui s'enfonçait dans l'eau noire. Je n'avais qu'un geste à faire, un mot à dire pour l'arracher à sa folie. Cependant mes pensées tournoyaient comme sous une cloche de verre. Plus tard, bien plus tard m'apparut la réalité de cet instant. J'étais sans conscience aucune du drame se déroulant sous mes yeux, absolument envoûté par la volonté de cette femme. Et pourtant je la regardais avec une entière lucidité, me retenant de ne pas lui crier l'amour soudain et désespéré que m'inspirait son visage. Lorsqu'elle fut à deux pas de moi, il me sembla que ses regards croisaient les miens, mais déjà ses pieds touchaient l'eau, s'engluaient délibérément à ce piège liquide. Au bas des marches le courant recouvrant le quai atteignit ses genoux. Alors je la vis se tourner lentement vers le lit du fleuve et lentement continuer d'avancer, luttant et gesticulant avec violence contre le flot qui la prenait à mi-corps. Elle parcourut ainsi une vingtaine de mètres et le vent soulevant ses cheveux agita au-dessus d'elle une grande ombre folle qui parut l'engloutir. Quand je recouvrai l'usage de la voix, il était trop tard pour appeler à l'aide. Sans doute ai-je fait un rêve, me dis-je, cette apparition n'avait pas plus de consistance que les images qui hantent mon sommeil... Et j'aurais gardé cet espoir si, devant moi, dans la neige, n'avait été dessinée avec tant de précision l'empreinte de ses pas sur les marches de l'escalier s'enfonçant dans l'eau noire.
Marcel Béalu
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