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A lire le volumineux recueil de textes divers, de circonstance ou de commande, qu'Yves Bonnefoy a publié en 1990 sous le titre d'Entretiens sur la poésie (1972-1990), on prend la mesure de l'ample travail de réflexion que le poète n'a cessé de mener et d'approfondir sur l'art qui fut le sien. L'ouvrage vint prendre la suite des essais de l'auteur rassemblés dans L'Improbable (Mercure de France, 1959), Nuage rouge (id., 1977) et La Vérité de parole (id., 1989).
Sans doute peut-on lire aussi dans ces Entretiens, à travers la pertinence et la qualité des analyses (surtout dans les troisième et quatrième parties de l'ouvrage), une volonté d'expliquer, de justifier encore ou d'asseoir, s'il se peut, cette pratique, la poésie, dans un monde où elle n'a guère de place que celle du dernier convive ; un monde où elle demeure ce "produit" coûteux (pour l'esprit) dont on saisit mal, et même pas du tout, l'utilité.
Mais, au bout du compte, n'est-ce pas la poésie, aussi solitaire et délaissée soit-elle, qui peut - et c'est bien son seul pouvoir - plaider pour elle-même, justifier sa nécessité, se faire enfin un honneur de sa gratuité, de son inutilité...
Yves Bonnefoy avait également repris en un bref volume deux œuvres poétiques précédemment (et partiellement pour l'une d'elles) parues à tirage limité : les poèmes de Début et fin de neige et la prose intitulée Là où retombe la flèche. La poésie est toujours acte inaugural : "... Cet instant-ci, sans bornes." Elle fait, dans le premier instant - celui de l'écriture, celui de la lecture, - table rase des théories et des réflexions. Cela ne définit pas le manque d'intelligence de la poésie, mais le bon usage de celle-ci, son bon rapport au geste créateur.
Yves Bonnefoy avait une trop haute conscience de la poésie pour confondre les registres. La part critique de son œuvre vaut pour elle-même ; elle est destinée à entretenir cette conscience, pas à expliquer le poème. La ligne parfaitement claire et simple (1) de celui-ci rendrait d'ailleurs sans objet une telle explication.
Sans avoir la grande puissance des grands textes poétiques antérieurs (ceux réunis dans un volume de la collection "Poésie/Gallimard"), ces pages sont des étapes dans la quête constante du vrai lieu qui, au-delà de "l'étoffe du songe", cherche la plénitude d'être :
"Et là-haut je ne sais si c'est la vie
Encore, ou la joie seule, qui se détache
Sur ce ciel qui n'est plus de notre monde."
Quant à la parole, elle ne peut que répéter son extrême fragilité :
"D'où vient qu'il fasse clair
Dans quelques mots
Quand l'un n'est que la nuit,
L'autre, qu'un rêve ?"
Patrick Kéchichian
(1) Voir l'essai de Michèle Finck, Yves Bonnefoy, le simple et le sens (éd. José Corti, 1/10/1989, 456 pages, 165 F).
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