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Idéologie, sublimation, comment de toute façon les éviter ? Si la poésie fait corps avec l'histoire, individuelle et collective, elle la traverse aussi. Tantôt nous voulons coïncider avec cette histoire, tantôt nous en évader, à tout prix. La poésie ne consiste pas dans le seul dévoilement de sa nature : elle se désincarne alors. Elle ne consiste pas davantage en une incarnation qui exigerait qu'on lui sacrifie tout, qui l'ampute et l'alourdit.
Traquée, la poésie fatalement se dérobe. Nous ne procédons que par coups de force : textes qui ont la prétention d'être ainsi des poèmes, écrivains qui osent s'appeler des poètes. Or la poésie n'existe pas, elle n'existe pas du moins comme une entité que, pour nous y soumettre ou pour la soumettre, nous puissions abstraire, emprisonner. Son nom déjà n'est-il pas un obstacle ?
Elle nous surprend, nous la surprenons parfois.
Est-ce le réel ? Est-ce l'image ? Est-ce le langage ? Est-ce le silence ? Questions insolubles. En mettant l'accent ici puis là, nous sommes victimes inévitablement de cette conception, particulière à l'Occident, qui veut trancher, qui n'admet qu'un sens : elle postule toujours l'innocence et l'unité, mais en quelque sorte à rebours.
Hier naïfs, actuellement crispés. Nous avons fui, nous piétinons : la belle affaire ! Prétendre après Breton que la poésie "porte en elle la compensation parfaite des misères que nous endurons" me paraît aussi néfaste, aussi faux, que de proclamer à la suite de Denis Roche : "Poésie, c'est crevé." Accepter, renoncer : dilemme absurde. Nous ignorons la relation, cette oscillation qui donne vie à la houle, au souffle.
Que serait le temps sans l'éternité ? La poésie n'est pas plus l'éternité que le temps. De même, elle n'est pas plus le réel que l'image, le langage que le silence : elle naît de leurs rapports. Parfois donc, pourquoi pas sans cesse ? Les poèmes et les poètes ne sont pas seuls en cause. Tous, nous devrions apprendre à respirer.
Sommes-nous vraiment pauvres ?
Encombrés par les idées d'une civilisation qui entre oui et non ne nous a pas laissé le choix, nous étouffons. Autant que des ombres, les mots sont des flammes. Les ombres ont été trop denses, les flammes trop légères : artificiellement nous avons séparé. Déchiré. La langue est semblable à l'air dont a besoin l'oiseau, dont il se joue : son vol, une connaissance, et pourquoi le poème n'en serait-il pas une aussi ? L'oiseau ne s'évade pas, prétendrons-nous qu'il est captif ?
La poésie ne nous sauve pas, elle éveille : il n'y a point de malédiction, manque et plénitude ne sont pas des réalités indépendantes. Je n'attends rien du parti pris (la nostalgie, l'avant-garde). Autant que de l'aveuglement je me méfie de la lucidité. Pourquoi des poètes ? Que la question reste en suspens, peu m'importe : nous n'avons que trop de réponses. Perdons notre fausse assurance, ou notre honte, et nous inventerons un art d'écrire, un art de vivre aussi bien, qui échappe à l'essence et à l'ordre.
Le rien subversif.
Pierre Dhainaut
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