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Manège
Tu regardes cette femme étrangère cuire ses petits poissons,
Les deux mains sur ta bière tu la regardes faire.
Du haut de ses trente ans tout frétille en douceur.
Debout dans sa cuisine elle règne sur les fleurs,
Du bout de sa fourchette accommode la mort.
La main de ma fée brune décolle de sa hanche,
Et vient se percher haut dans son chignon défait.
Le vieil homme à l'entrée tire sur ses bretelles
Puis jette dans le noir un regard plein d'eau sale,
Au plafond de ce bar pend un jambon luisant.
Je termine mon verre et j'essuie mes moustaches,
Au roc de sa poitrine s'aiguisent nos yeux clairs,
Le loup noir de la vie montre sa langue rose,
Dans la rue qui poudroie passe un cheval qui trotte.
* * *
Patience dure, amour profane
Patience dure, amour profane,
J'atteins le vin du jour où tournent les noyés.
Un fouet claque dans le vent sur une mule endormie,
Les herbes de ton lit accouchent de murènes.
Patience dure, amour profane,
Voici le mors des siècles qui se lève pour toi,
La collerette infime où tinte l'océan.
Je viens de quelque part
Dormir sous ton toit bleu.
* * *
Où tu t'en vas ?
Flaque immaculée de Décembre, sable obscur,
Tu gis prématurée où la rivière surgit.
Ce matin, juste sous ma fenêtre, à mes pieds,
J'ai ramassé deux étoiles penchées échouées sur le bord,
L'une avait ton prénom, l'autre ta voix.
Ô ma lumière de source fraîche, où tu t'en vas ?
Animal intraitable, cheval fou, au ciel nuancé de l'amour, tu es partie.
Je les suspendrai dans l'étable au ciel criblé de mes rêves.
Elles brilleront très longtemps dans la nuit, éclaireront les voyageurs.
Ô ma lumière de source fraîche, où tu t'en vas ?
Ma rose sombre, ma tente étoile, mon épinette, ma riche et tendre,
Flaque durcie que le gel coud.
Dans le vent qui casse les vitres, dans le vent qui brise les rêves,
Dans le lac où nagent les morts, tu es partie.
Ô ma lumière de source fraîche, où tu t'en vas ?
Paul Silhac
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