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Un monde qui aurait été habité, il y a très longtemps de cela, et qui aurait connu, en son temps, activité, prospérité, fécondité...un monde jadis gros de lui-même et de son bonheur édifié dans l'assurance d'une tranquille inconscience... un paradis, en quelque sorte.
De cet extrême passé, on ne saurait strictement rien dire. On ne le connaît - ou plutôt on ne l'imagine - que par défaut, parce que nous vivons entourés de choses qui, toutes, nous renvoient à cet au-delà de tous les possibles sensibles et sensuels, en même temps qu'elles nous confirment dans notre juste place : ce moment désertique où s'absorbe notre vie comme toute vie. C'est de là, en effet, de cette terre sans eau ni relief, que nous pensons notre destin. C'est de là, sur ces zones qui, pour être frontalières, n'en sont pas moins infinies, que nous découvrons, en même temps que notre rigoureuse finitude, notre vocation à l'absence.
Il n'est pas de chose, si banale et si humble soit-elle, qui ne puisse, à un certain moment, figurer concrètement et symboliquement notre radicale désertion de l'être - non seulement parce que notre rapport aux choses est, nécessairement, de l'ordre de l'extériorité (de la contiguïté, de la juxtaposition...) mais parce que, dans leurs formes (esthétiques) comme dans leurs fonctions (pratiques), les choses désignent toujours l'au-delà de ce que nous sommes. Il suffit, pour le découvrir, de pratiquer l'inattention.
C'est dans le moment où la chose, manifestement, ne sert à rien, qu'elle accède à son statut de réalité éminemment significatrice de notre indigence ontologique - nous indiquant, à l'instar d'un doigt, qui serait le doigt de Dieu pointé sur chacune de ses créatures, le creux absolu qu'elle porte en elle, et avouant, par là même, que, dans sa compacité traficable, elle n'est jamais que la surface contingente et muable de ce qu'elle prétend être ou de ce que nous avons décidé, une fois pour toutes, qu'elle doit être.
Claude Louis-Combet
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