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Au-delà du simple plaisir du texte, que peux donc nous apporter la lecture d'un poème ? Que cherchons-nous quand nous lisons de la poésie ? Des modèles de vie où nous puissions puiser des enseignements pour la nôtre ? Mais alors, mieux vaut lire des biographies de poètes. Sans compter qu'un tel bénéfice éthique n'est pas spécifique à la poésie.
Car cette vertu éthique d'"édification" de soi, par laquelle des livres nous aident à nous faire les "poètes" de notre propre existence, vaut pour la littérature en général et même pour des arts qui lui sont étrangers - le cinéma par exemple, autrement plus puissant, aujourd'hui, dans la configuration moderne de la culture. Et s'il s'agit de chercher des modèles de vie afin de sans cesse "refigurer" notre incertaine identité, alors sans doute le roman (ou plus largement le récit), en tant qu'il met en scène des personnages et configure narrativement le temps vécu (qui est aussi un temps social), est-il plus adéquat à cette fonction éthique que la poésie elle-même.
En réalité, c'est dans une sorte d'entre-deux, à mi-chemin de l'intelligence d'un sens et de la sensibilité aux formes verbales, là où se fait l'hésitation entre sens et son, que l'onde du poème se déploie. Sollicitant, plutôt que notre intelligence narrative, une compréhension qu'on pourrait dire "affective", le poème lance ses mots, comme autant de sondes, en direction des assises les plus enfouies de notre présence sensible au monde. Il fait vibrer en nous la corde énigmatique du temps en ce qu'il a de plus inscrutable. Il excite les nervures les plus secrètes de notre habitation corporelle et spatiale du monde. De la sorte, ce n'est pas un message qu'il délivre, ni quoi que ce soit qui puisse être de l'ordre d'un enseignement doctrinaire. Il ne met pas en vers des idées ; il dessine et décline des versions de mondes qui sont autant d'esquisses d'une autre économie possible de l'existence - d'un autre éthos (séjour), qui serait, selon le mot de Mallarmé, plus "authentique".
Certes, il est sans doute bien difficile de déterminer par quelle aléatoire capillarité de telles esquisses peuvent bien se diffuser et être d'une quelconque efficience. Il n'est pas impossible, toutefois, sans céder à nouveau à l'illusion romantique d'une révolution de la vie par la poésie, de cerner plus précisément quelques modalités de l'action qui peut être celle de la poésie sur l'existence.
La poésie comme tonifiant de l'existence
La vie ne tient qu'à un fil - celui que la Parque est toujours prête à couper. Le désir de vivre lui-même est fragile, et c'est pourquoi nous cherchons sans arrêt de quoi en retendre le ressort, afin que notre existence ne soit pas trop soumise à ce qui l'aliène et la défait. La poésie (mais non elle seule) peut y contribuer.
Jean-Claude Pinson
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