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Un livre majeur de Henri Michaux, qui s'est écrit en l'espace de 10 ans, chez 3 éditeurs successifs (éditions de l'Herne, 29 janvier 1971, 38 pages ; Fata Morgana, 6 octobre 1978, 76 pages ; Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages). L'un de mes livres de référence, j'y puise les ressources nécessaires quand ce que charrie à l'envi ce siècle vingt-et-unième m'exaspère "un peu" trop. A ses côtés, j'ai logé Coups d'arrêt, paru au Collet de buffle le 31 octobre 1975, une plaquette de 16 pages agrafées, à la couverture rouille clair ; l'électricité statique qui s'en dégage est si vive que je le range toujours (après de multiples lectures) à la même place, non sans quelque soulagement.
... Ce qu'a écrit à Michaux Robert Valençay le 23 juin 1971, après la première publication de Poteaux d'angle, mérite ici d'être cité, car ce n'est pas de pure forme, comme chez certains gens-de-lettres :
"Les poteaux sont bien là, certes. Mais les lignes d'angle, à l'intersection desquels ils sont fichés n'en sont pas moins perceptibles, aussi bien dans le domaine auditif que visuel. Et elles évoquent soudain pour moi cette sorte de bataille de traits que jadis se livrèrent Apelle et Protogène.
Vous avez su tracer ici, sur le ou les traits que nous proposent tant de philosophies douteuses, une ligne, plus déliée encore, une ligne qui fulgure à froid pour ne garder que l'essentielle pureté.
Vue sous un fort grossissement, cette ligne est une veine à nu de vif-argent qui remonte impassiblement, au milieu du fleuve, le courant vain des scories qui l'entourent.
Mais ne serait-ce pas là le mercure philosophal ?" (Henri Michaux, Œuvres complètes, La Pléiade, tome 3, p.1729).
Voici :
Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ?
Communiquer quoi ? tes remblais ? - la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.
Nouvelles de la planète des agités : avec un fil à la patte, ils filent vers la lune, avec mille fils plutôt, ils y sont, ils alunissent et déjà songent à plus loin, plus loin, à des milliers des milliers de fois plus loin, attirés par le désir nouveau qui n'aura plus de fin, dans un ciel de plus en plus élargi. Cependant sans s'arrêter, des masses immenses dans les espaces tournent à toute vitesse, s'écartent, se fuient, s'attirent, s'équilibrent, orbitent, muent, géants de matière au paroxysme, jusqu'à explosion, jusqu'à implosion, luttant, enragés d'existence, l'existence pour l'existence, pour pendant des milliards d'années continuer à exister, étoiles de toute sorte et galaxies, elles aussi entraînées à exister.
Mais pourquoi donc ? Pourquoi ?
Suicide en satellite.
Celui qui repassera sur cette orbite entendra d'étranges sons : sur des millions de kilomètres d'espace sans personne, un cosmonaute fantôme, sa préoccupation inapaisée, frappe perpétuellement un dernier message qu'on ne s'explique pas.
Henri Michaux
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