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Quand il reçut son prix Nobel de littérature en 1985, Claude Simon expliqua aux jurés suédois que malgré son âge - il avait alors 72 ans -, il n'avait encore découvert aucun sens à sa vie "si ce n'est, comme l'a dit, je crois, Roland Barthes après Shakespeare, que « si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien - sauf qu'il est. »"
La vie de Claude Simon, né à la veille de la boucherie de 14-18, a été marquée par ce vide, la guerre, la maladie et l'enfermement, et l'écrivain s'est retrouvé "plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle". Son œuvre est à l'image de ces épreuves personnelles et du chaos du siècle : entre histoire et mémoire, elle avance "sur des sables mouvants", et seule la syntaxe agencée de l'écriture peut conférer quelque sens à ce désordre initial. Souvent qualifiés de difficiles parce que sinueux, les livres de Claude Simon explorent de manière proustienne "l'impalpable et protecteur brouillard de la mémoire", le trouble puzzle du souvenir où la langue va temporairement mettre un peu d'ordre. Il n'y a d'événement que l'image que l'on en garde. Le roman objectif n'existe pas plus que le miroir impartial de la réalité. Cette théorie, qui avait fait de lui un pilier du Nouveau Roman, école antinaturaliste des années 60 avec Nathalie Sarraute, Michel Butor et Alain Robbe-Grillet en autres figures liges, ne signifiait pas chez Simon tout refus de description. Mais c'était celle d'un paysage intérieur et d'un écrivain aux prises avec l'aventure de son récit.
De livre en livre, Claude Simon déchiffrait les fragments de monde imprimés en lui et les recomposait en mosaïque plus harmonieuse, plus maîtrisée. De la littérature comme un Jardin des plantes.
Antoine Ganascia
"On écrit ce qui se passe au présent de l'écriture et ce qui existe dans le souvenir avec toutes les déformations que porte en elle la mémoire et qu'apporte encore l'écriture. Plutôt qu'autobiographiques, je préfère dire que mes livres sont à base de vécu." Claude Simon
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