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Jean-Pierre Martin raconte qu'Henri Michaux et Marie-Louise Termet, dans les premiers temps qu'ils se connaissaient, "le soir se lisaient à haute voix Lautréamont." Ce que Michaux a tant admiré en Maldoror, c'est l'étrangeté et la liberté et la grandeur. L'auteur s'y cache comme il rêve lui-même de se dissimuler dans ses œuvres. Il tient à être le plus subjectif et le plus énigmatique des écrivains. On peut voir comment, par exemple dans "La Ralentie", à sa manière, moins déclamatoire que celle de Maldoror, il avoue, mais comme en secret, ce qui lui est le plus personnel, la passion amoureuse. Il y a d'ailleurs un curieux rapport entre les amours de Michaux et celles de Lautréamont : l'allusion à l'écrivain qu'il admire dans le poème de 1928 à Banjo, justement intitulé "Amours" ; ou la coïncidence presque magique qui le fait tomber amoureux d'une belle uruguayenne, dans la ville même, Montevideo, où Isidore Ducasse est né et a vécu.
Amours
"Toi que je ne sais où atteindre et qui ne liras pas ce livre,
qui as fait toujours leur procès aux écrivains,
Petites gens, mesquins, manquant de vérité, vaniteux,
Toi pour qui Henri Michaux est devenu un nom propre peut-être semblable en tout point à ceux-là qu’on voit dans les faits divers accompagnés de la mention d’âge et de profession..." in La nuit remue
L'année 1944 voit la mort de son frère, Marcel, qui ne l'estimait guère, comme peu conforme au "modèle" de la réussite sociale. Gardons toujours à l'esprit qu'Henri Michaux a su montrer, tout au long de son existence, une attitude pour le moins anti-conventionnelle. Sa rencontre avec l'un des chantres de la contre-culture, Allen Ginsberg, rue Gît-le-Coeur, dans le fameux hôtel que l'on sait, en 1958, est là pour en témoigner, s'il en était besoin...
Ne pas oublier non plus que Michaux tenait en grande estime l'attitude d'Artaud, dans ses démêlés avec son psychiatre, Ferdière (qui fut d'abord l'époux de Marie-Louise Termet). Il lui trouvait "une superbe dignité". Bien entendu, lui qui n'allait guère aux conférences ni aux colloques, a assisté à la fameuse "conférence" d'Artaud le 13 janvier 1947 au théâtre du Vieux Colombier, annoncée comme l'"Histoire vécue d'Artaud-Mômô. Tête-à-tête par Antonin Artaud." Henri Pichette, au cours d'une réunion de lettristes, en 1947, a pu saluer Henri Michaux et Antonin Artaud comme "père et mère". Pourquoi pas !
En 1946, alors que la maladie de Marie-Louise (la tuberculose) contractée suite aux restrictions alimentaires de la Seconde Guerre mondiale ne cesse de l'affaiblir, le couple effectue un voyage au pays basque. En ce temps-là, on mourait encore de tuberculose. Avant la pénicilline, il n'y avait guère que le sanatorium, célébré par Thomas Man. Marie-Louise a fait elle aussi l'expérience de la "montagne magique". Elle semblait aller mieux : elle ne mourrait pas de maladie. Le couple emménage dans l'appartement de la rue Séguier. Cette année-là, ils voyagent à deux en Egypte, un pays qu'ils découvrent.
En janvier 1948, en l'absence de Michaux – qui est allé à Bruxelles pour régler des affaires de famille en lien avec la mort de son frère –, Marie-Louise est gravement brûlée. Aussitôt prévenu, HM revient de Bruxelles. Il assiste jusqu'au bout à ses souffrances, jusqu'à sa mort. "Je ne trouve plus devant moi que le vide". Pour réagir, il se met à peindre, de plus en plus "nerveusement", "rageusement", des milliers de dessins, de gouaches, d'aquarelles. Il improvise, sur plusieurs instruments, des musiques barbares, lancinantes. S'essaye aux percussions. Pour marquer ainsi la fin d'une belle aventure.
Peu de temps après la parution de Meidosems, Michaux fait paraître, à la mémoire de la disparue, Nous deux encore, édité par J. Lambert et Cie, où au regret poignant se mêle un irrépressible remords. Cette plaquette se compose de 32 pages foliotées de 9 à 23 ; un tirage de 750 exemplaires sur vélin du Marais Crèvecœur (dont 100 hors commerce) :
Il dédicace son livre à René Bertelé : "A René Bertelé, quoiqu'il soit contre. H. Michaux", dédicace très sèche car il n'a pas suivi les recommandations de son ami. De là sa décision sans doute : il fait détruire, peu de temps après sa sortie, une grande partie de l'édition de ce livre, interdit de réimpression car Michaux le juge trop personnel pour être ainsi donné en pâture aux lecteurs. Il faudra attendre l'édition post mortem de La Pléiade pour le lire de nouveau.
En dépit de cela, deux mois à peine après la mort de l'écrivain, le 19 octobre 1984, Michel Butel, in L'Autre journal n°1 (décembre 1984) publia en pages 202 à 205 l'intégralité de la plaquette intitulée Nous deux encore, sans autorisation, s'attirant les foudres de celle qui fut sa compagne, l'exécutrice testamentaire de HM, Micheline Phankim.
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