"Cahier de verdure", de Philippe Jaccottet, éd. Gallimard (80 pages)
12/05/2017
"Presque rien" : un cerisier chargé de fruits, le cri frénétique des alouettes, le vent, les nuages, de simples fleurs de talus. Les poèmes de Philippe Jaccottet surgissent de ces moments fugaces où le réel semble faire signe, ouvrant des "passages" sur ce qui va à nouveau, insaisissable, se dérober. De ces instants frémissants de douceur où la lumière semble émaner de l'intérieur des choses. Alors survient une "sourde jubilation" que ces Éclats d'août, ces Fragments soulevés par le vent disent pudiquement, comme avec "une prosodie, une syntaxe, un vocabulaire du secret".
Pour Jaccottet, le poème naît non pas d'une recherche formelle, mais d'un travail intérieur, d'une "décantation". Dehors et dedans sont liés dans un espace continu, une sorte de Weltinnenraum rilkéen : et le poème sur la page n'est que condensation de rêveries, d'émotions devant le monde sensible. "Cahier de verdure, précise Philippe Jaccottet, est un ouvrage, pour la forme, un peu différent des précédents. Au lieu de réserver certaines notes pour une éventuelle suite de la Semaison, je les ai intégrées dans le livre à côté de proses de description et de réflexion et de poèmes qui sont presque des suites de fragments. C'est donc un assemblage de registres un peu différents, mais, comme les thèmes sont tout à fait proches, il m'a paru légitime de les rassembler. Le titre indique cette relative liberté."
"Chercheur d'herbe", le passant tente de saisir le langage tremblant, évasif, du paysage. Attentif, comme naguère dans Beauregard, à l'étendue vibrante de la prairie, à son offrande légère. "Cela rejoint d'autres pages, parues dans la NRF, en hommage à Ponge. Parlant de ses obsèques, j'évoquais les lectures faites à cette occasion, celles d'un psaume qui parle des verts pâturages et celle du Pré par Christian Rist. Cette réflexion sur pâturages et prairies aura une suite dans un prochain livre où le pouvoir du vert est aussi interrogé, comme si c'était pour moi un mystère très touchant et très essentiel."
Cahier de verdure "pourrait être situé sur une carte géographique. Je pourrais retrouver le cerisier, les cognassiers dont je parle". Malgré une brève allusion aux pommiers de son pays natal, la Suisse, Philippe Jaccottet ne se retourne guère vers l'enfance comme vers un jardin perdu. Mais se désigne comme Ignorant, reprenant ainsi le titre de l'un de ses premiers livres.
"Depuis 1946, toute ma vie d'écrivain s'est passée en France." Les promenades autour de Grignan sont rarement solitaires. "L'amitié compte énormément pour nous, d'autant plus que nous sommes dans un lieu un peu isolé. Et, finalement, dans mes textes qui ont l'air de ne jamais parler des êtres - c'est peut-être le signe de l'âge que j'ose dire cela - je crois qu'il y a beaucoup d'amitié. Il n'est pas obligatoire de parler directement de l'humain pour que le livre ait une densité humaine."
Ainsi, l'allusion discrète à la maladie d'un ami éclaire le poème commenté dans Apparition des fleurs. "Essayant d'analyser l'intensité de mon émotion initiale à propos de rien puisqu'il s'agit de trois fleurs, je me dis que cela me paraît presque la seule réponse à l'horreur de cette destruction d'un esprit par la maladie." L'oscillation entre émerveillement et effroi apparaissait déjà dans A travers un verger : la floraison neigeuse des amandiers ne conjurait pas la souffrance. Ici, au contraire, "mort est effacée, le temps d'avoir longé un pré". Même contradiction, même lien peut-être, "entre l'enfer et les fleurs", dans un haiku du poète Issa.
Jaccottet a dit plusieurs fois, dans la Promenade sous les arbres et dans Une transaction secrète, l'importance qu'avait eue pour lui la découverte du haïku, poésie dont la transparence et la réduction souveraine à quelques éléments sont rendues possibles par le désir d'effacement du poète. Comme si le poème ne faisait que passer "à travers" celui-ci :
"Détrompez-vous :
ce n'est pas moi qui ai tracé toutes ces lignes
mais, tel jour, une aigrette ou une pluie,
tel autre, un tremble,
pour peu qu'une ombre aimée les éclairât."
Monique Petillon
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