"L'ultime vocation du langage", vue par Jean-Michel Maulpoix
12/01/2015
Dans du Lyrisme, essai paru chez José Corti en 2000, Jean-Michel Maulpoix parle de l'écriture - de la "substance du monde" à sa "propre substance" - en ces termes :
Je ne puis qu'aimer ou écrire ; le reste m'indiffère ou m'attriste. Vouée à se consumer toute, cette vie n'est jamais si précieuse ni si désirable que lorsqu'elle s'éblouit de sa propre fin, soudain terrifiée comme un papillon qui se brûle les ailes contre la lampe.
Je serre contre moi l'idée de ma propre mort ; elle est mon bien.
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De quelle espèce d'ignorance puis-je encore me réclamer pour continuer à écrire ? Ou pour recommencer d'écrire ! Je voudrais n'avoir jamais pris la plume. Celles que je possède sont dociles... Telle est l'aventure du langage que l'on s'y adonne tout d'abord avec bonheur en aveugle, et qu'elle devient insupportable au moment précis où l'on pourrait cesser de la trahir.
Ceux qui, par défiance, ne veulent entrer dans le jeu de la langue, se privent du seul accès dont nous disposons à la substance du monde. Il faut leur répéter que le langage nous donne tout en nous privant de tout : ce paradoxe est tel que là où les mots viennent en plus grand nombre, et où la dépossession est donc plus grande, il y a aussi le maximum de présence et le maximum d'être. Nous ne sommes ni des oiseaux, ni de pierres.
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Depuis le temps que j'accomplis les mêmes gestes et rature les mêmes mots sans en épuiser le sens, j'ai appris à ne plus espérer du langage que de moindres aveux. Je n'y recherche plus, comme autrefois, mon coeur, ni le sens ultime de ma vie, mais attends désormais sans impatience qu'il me concède un peu de clarté. La douceur d'une soirée d'été baigne parfois la chambre lorsque j'écris. Elle m'enveloppe d'un autre corps, plus léger, plus lumineux, comme si je pénétrais furtivement le mystère de ma propre substance telle que je l'imagine, délivrée du poids ennuyeux de la chair, quelques secondes à peine après mourir. Rien ne m'est si précieux que ce temps de vacance et de trouble qui me concède ce que je ne lui ai point demandé, comme si l'ultime vocation du langage n'était en fin de compte que de remettre à l'heure l'horloge intime de celui qui ne sait plus rien de sa propre vie.
Jean-Michel Maulpoix
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