Antonio Lobo Antunes et la quête d'absolu (1e partie)
18/03/2016
On sait qu'Antonio Lobo Antunes, dont le dernier livre traduit du portugais est La Nébuleuse de l'insomnie (Christian Bourgois, 2012) a décidé, le 2 novembre 2012, d'arrêter d'écrire ! Ita est. J'ai choisi aujourd'hui de vous donner à lire un extrait de son Livre de chroniques IV (Terceiro livro de cronicas), traduit par Michelle Giudicelli, éd. Christian Bourgois, 2009 :
"Si ça se trouve je vous assomme avec ce discours, mais j'ai pensé que cela ne vous déplairait pas de jeter un coup d'oeil dans mon atelier. Les produits en sortent pour aller dans les librairies sans que les lecteurs sachent où et comment ils sont faits, au beau milieu d'une rangée de phrases-fils de fer, d'adjectifs-vis en vrac, par terre, de chapitres entiers dans le seau à déchets, et me voilà qui émerge de sous mon roman comme un mécanicien de sous une voiture au capot ouvert, les poches pleines de stylos-clefs anglaises, sali par l'huile des propositions à rajuster et de la calamine de bielle des existences insuffisamment nettoyées. Tant d'efforts pour une virgule, un verbe.
Tant d'obscur système électrique qui résiste. Tant d'incertitude. Tant d'angoisse. Tant de joie par moments. Je ne montre pas les étapes intermédiaires, je n'en parle pas, je ne raconte jamais ce que je suis en train de tenter. Par pudeur, je crois, par honte, je ne sais au juste. Mais en attendant, je suis assis, et je rassemble des tôles, des tuyaux, je cherche, dans le tas qui se trouve par là, dans le coin de ma mémoire où les pièces s'amoncellent, je les prends, les observe, les rejette, tout en repliant et en tendant mes doigts.
- Est-ce que je vais en être capable ?- Est-ce que je vais être capable d'en être capable ?
et ce n'est que quand j'aurai acquis la certitude que je n'en serai pas capable, ce n'est que quand le défi me semblera impossible à relever, que je me mettrai à essayer de le contrarier. Quand j'étais étudiant en médecine, on m'a raconté qu'autrefois on enlevait les calculs par le biais d'un procédé désigné sous le nom de "lythotritie", et qui consistait à introduire dans l'urètre une sorte de pinces et, ensuite, d'écraser lesdits calculs à l'aveuglette (...).
L'écriture, c'est un peu ça, sauf qu'il faut insister jusqu'à ce qu'on ait écrasé tous les calculs."
Antonio Lobo Antunes
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