Jean Tortel (1904-1993)
19/07/2017
L’œuvre de Jean Tortel occupe dans le paysage poétique du vingtième siècle une place plus importante qu'il n'y paraît. La notoriété n'a peut-être pas suivi, comme il arrive souvent. Il n'empêche : aux côtés de Guillevic, d'André Frénaud et même de René Char, il a donné, par la poésie, un accès irremplaçable au monde visible et sensible. Moins lapidaire que le premier, moins métaphysicien que le deuxième, il évite, à la différence du poète de Fureur et mystère, certaines tentations sentencieuses. Il faut encore citer, dans la proximité de Tortel, les noms de Jean Follain et surtout de Francis Ponge. Avec ce dernier, il partage le goût et l'intelligence de la langue, de son aptitude à rendre quelque chose de la préférence du réel.
Comme René Char, Jean Tortel est un homme du Sud, enraciné dans sa terre. Il est né dans le Vaucluse, à Saint-Saturnin-lès-Avignon, de parents instituteurs. Receveur de l'enregistrement à Gordes, où il se marie en 1926, il passe sa vie entière sous cette lumière méditerranéenne qui imprègne sa poésie. C'est en 1931 que paraît son premier recueil, Cheveux bleus. A partir de 1938, il participe à l'aventure des Cahiers du Sud, avec Jean Ballard, Léon-Gabriel Gros et Joë Bousquet. Il découvre à cette époque les richesses de la poésie préclassique française, Malherbe, Scève (auquel il consacrera un essai en 1961). Les titres des livres de poèmes de Jean Tortel situent bien la nature de son art poétique : Relations (1968), Limites du regard (1972), Instants qualifiés (1973) chez Gallimard : Des corps attaqués (1979), Arbitraires espaces (1986), Précarités du jour (1990), chez Flammarion, pour ne citer que ses tout derniers.
Jean Tortel, et ce n'est pas son moindre mérite, ne s'est jamais installé dans une forme, ou dans des formes immuables. Sa modernité, il a su l'affirmer en actes, par le mouvement et la métamorphose constante de son écriture. Son influence parmi les poètes plus jeunes témoigne de cette modernité.
La sécheresse n'est, dans la poésie de Tortel, qu'apparente. Elle est le moyen de contourner les tentations d'un lyrisme qui ne parvient pas à se contrôler. La sensualité, l'amoureux regard, l'attention à toutes les vibrations du réel, donnent à la voix du poète une tonalité que le formalisme n'entrave jamais.
"Le dehors est masse taillée
Par l'aveuglante vitre où se cassent
Plusieurs soleils non acceptables
Les yeux saignant
Le regard découpé."
in Les Saisons en cause, éd. Ryoan-ji, 1987)
En 1991, Jean Tortel publiait un journal poétique, Progressions en vue de (Maeght Editeur), dernier signe d'un regard en éveil.
Patrick Kéchichian
Les commentaires sont fermés.