"Par quelles voies la poésie se fait-elle nôtre ?" : Armand Olivennes (1931-2006)
11/07/2019
Le 3 septembre de 2000
Cher Daniel Martinez,
Pardonnez, je vous prie, le retard et le laconisme de ma réponse à votre attentionnée lettre du 19 août. J'ai dû entreprendre des voyages et accomplir quelques devoirs de famille et autres, entre-temps, ce qui est mon excuse...
Oui, j'aime la Nature même si j'arrive de moins en moins à en parler "comme il faut". Ronsard (ou Malherbe ?) la traitait de marâtre. Je n'y vois quant à moi aucun principe maternel (ni paternel, du reste). C'est une sorte d'oracle pour l'homme qui doit y déchiffrer sa piste mais aussi son errance et son aveuglement.
Si la fécondation et la maternité sont des phénomènes naturels par essence, la précarité, la mort, l'oubli sont tout aussi naturels. Les pauvres fleurs qui s'épanouissent l'espace d'un printemps n'ont peut-être pas pu éclore, elles non plus, ce qu'elles avaient d'individuel et de non sériel ? Il y a un moment évolutif de la Culture où la Nature, si vous la contemplez au dehors et au dedans de vous, vous sert de garde-fou. Alors ? Quand et comment rompre les cycles, les saisons, les périodes, les ères, la régularité du Temps et l'exception anormale ?
Comme vous, je relis Edmond Jabès. C'est le "soi-même" à quoi engagerait la poésie qui fait problème. Ce soi-même plein de sagesse n'est ni la poésie ni celui qui s'y exerce ou en a un besoin primordial. Elle même, la Poésie et nous-mêmes, les poètes, nous ne suivons pas naturellement, les sentiers battus.
Nous ne sommes pas les fidèles de la ressemblance. Nous recherchons plus volontiers ce qui s'est obscurci dans l'obscurité, fût-ce la chimère la plus puérile, la lueur la plus fugitive d'un sens meilleur que le bon sens.
Je me réjouis par avance de découvrir l’œuvre de Miguel Hernández (un poète dont je n'ai lu que quelques poèmes) dans le prochain numéro de Diérèse. J'espère que vous rappellerez ce que fut sa vie, son engagement, ses souffrances.
Merci encore de me faire participer à l'aventure de Diérèse et toutes mes confraternelles amitiés,
Armand Olivennes
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