"Mort d'un poète", un récit de Jean Rousselot, deuxième partie
02/08/2015
- Ecoute, dit Lopez (et sa voix était douce maintenant), ce n'est pas moi qui ai décidé ta mort, tu le sais, mais je dois faire mon devoir. Dis-nous ce que tu veux et nous te l'accorderons.
- Je voudrais, dit le poète, que vous me laissiez le temps d'écrire un dernier poème. Oh, une demi-heure à peine. Et vous ne me gênez pas. Vous pouvez parler et rire, que m'importe ? La Nuit est en moi et je suis déjà dans la Nuit.
Les soldats battirent les cartes et burent le vin du poète. Lopez, accoudé à la fenêtre, regardait pleuvoir les étoiles. Le rossignol chantait toujours.
Et le poète écrivit d'une traite un grand poème mélodieux et exultant où les flancs lourds de la moisson respiraient comme une femme assoupie, où les frondaisons écumeuses s'incurvant, partaient à la conquête des bords lointains du ciel, où le regard de l'homme s'ouvrait si grand qu'il absorbait en son entier, et pour toujours, le monde et ses fourmis pesantes.
Il achevait à peine que Lopez se dressa devant lui, un Lopez nouveau, ruisselant de sueur ou de larmes, qui, au grand émoi de ses hommes, dégaina son noir pistolet d'Eibar, pour, d'une balle au front, tuer lui-même le poète.
- Et maintenant partons, je n'en peux plus !
Eteinte dans l'escalier la chevauchée des bottes, on n'entendait plus rien, dans la chambre aux murs chaulés, que le chant du rossignol et le ruissellement des étoiles et, tombant goutte à goutte sur la feuille, le sang du poète signer le grand poème mélodieux et exultant.
Jean Rousselot
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